Affaiblissement de la démocratie locale?

Les sénateurs ont recueilli la parole de 3000 élus et celles des principales associations les représentant sur les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur mandat et les souhaits qu’ils forment pour leur avenir.

Par ailleurs, ils ont lancé un sondage, conduit par l’institut CSA, sur la perception des Français à l’égard des maires et des communes.

Le mandat qui s’était ouvert deux ans plus tôt, au pire de la crise sanitaire, était aussi le premier à connaître le plein effet des nombreuses réformes territoriales des dernières années : arrivée à maturité de l’intégration intercommunale ; loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam), loi Engagement et proximité et loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) ; suppression d’une part importante de la fiscalité locale…

« Cela nous a permis de réfléchir au modèle de communes que nous devions défendre et à la façon d’améliorer les conditions d’exercice du mandat local ainsi que d’objectiver le malaise ressenti par les élus municipaux.

En premier lieu, le malaise des maires ne se lit pas encore dans une baisse drastique des candidatures : le nombre de candidats a certes baissé de 2,55 % entre les deux dernières élections, mais la baisse du nombre de communes, sur la même période, est de 1,5 %. On constate également que, de 2014 à 2020, la proportion de maires qui ne se sont pas présentés pour un nouveau mandat est sensiblement la même : un tiers de l’effectif. Tout au plus peut-on constater que, sur les 2 093 maires qui ont répondu à la consultation de notre mission d’information, 28 % d’entre eux indiquent vouloir quitter la vie politique à la fin de leur mandat. À trois ans des prochaines élections, c’est un taux important, mais comparable à ce que disaient les maires un an avant le scrutin de 2020.

La situation est en revanche plus inquiétante sur le front des démissions d’élus municipaux. À la date du 10 mai dernier, 1 078 maires avaient démissionné volontairement de leur mandat et 29 214 conseillers municipaux, ce qui représente 3 % de l’effectif total des maires et 7 % de celui des conseillers municipaux.

Moins de la moitié des maires interrogés jugent les conditions d’exercice de leur mandat satisfaisantes. Parmi les facteurs contribuant à rendre difficile l’exercice de ce mandat, les maires citent principalement la complexité normative, la charge des réunions et des procédures, l’insuffisance des moyens financiers et, pour ceux qui ont un métier, la difficulté à concilier mandat et vie professionnelle. Il en résulte un certain découragement et un grand pessimisme, transparaissant dans notre consultation. Ainsi, parmi les maires interrogés qui entendent renoncer à la vie politique, la moitié juge que le travail politique leur prend trop de temps et un tiers se déclare déçu.

D’une manière générale les élus consultés pensent très majoritairement que la situation des communes va se dégrader fortement.

On constate ainsi un affaiblissement de la démocratie locale, passant par un découragement des élus municipaux. Il s’agit aussi d’un affaiblissement des communes elles-mêmes.

Le diagnostic est connu et tient à quatre éléments : la crise de recrutement du personnel municipal, l’érosion des moyens financiers des communes, le désengagement territorial de l’État et la montée en puissance des intercommunalités, parfois au détriment des communes membres.

Sur le premier point, les communes sont confrontées à un mur des départs à la retraite des secrétaires de mairie. Un tiers partiront à la retraite d’ici à 2030. Or, actuellement, près de 2 000 postes sont vacants.

Le désengagement territorial de l’État est une réalité : un tiers des 11 000 équivalents temps plein annuels travaillés (ETPT) supprimés depuis dix ans l’ont été dans les préfectures. D’ailleurs, les maires de la consultation estiment, à 72 %, que le service public d’État s’est dégradé sur leur territoire. La dégradation est quantitative, mais également qualitative : un tiers d’entre eux jugent que l’État territorial remplit insuffisamment son rôle de conseil auprès des communes et plus de la moitié considèrent que les moyens des préfectures sont insuffisants pour répondre à leurs demandes.

L’intégration intercommunale n’a pas eu les mêmes conséquences pour toutes les communes, qui entretiennent à son égard un rapport ambivalent. Si la moitié des répondants de la consultation estiment qu’elle bénéficie à leur commune, un peu moins d’un quart pensent le contraire. La même proportion juge que l’intercommunalité fonctionne mal. Plus inquiétant encore, plus de la moitié des élus – 54 % – considèrent que leur commune pèse insuffisamment sur les décisions de l’intercommunalité, cette proportion approchant les deux tiers dans les intercommunalités comptant plus de 50 communes membres, les intercommunalités dites « XXL ».

L’avenir des communes et des maires est donc assombri et l’on peut parler d’un avis de tempête sur la démocratie locale. Heureusement, il y a des raisons d’espérer, et c’est sur elles que nous allons nous concentrer. On peut compter, d’abord, sur le formidable engagement des 520 000 élus municipaux, force vive de notre démocratie. Il y a par ailleurs la force du modèle communal français, qui lui a permis de traverser toutes les crises, à commencer par celle du covid. S’y ajoute enfin, et surtout, le très fort attachement de nos concitoyens à la figure du maire et à la commune.

Un sondage CSA l’a confirmé, la commune est, de loin, la collectivité à laquelle les Français demeurent le plus attachés et qu’ils jugent la plus efficace. Le maire est, pour les Français, une personnalité bien identifiée, dont ils ont une bonne opinion à 63 % et qu’ils estiment, lui donnant la note moyenne de 6,9 sur 10.

Une fois ce constat dressé, quelles sont les pistes pour répondre à cette crise de la démocratie locale ? Il est nécessaire, selon nous, d’agir à deux niveaux : celui de l’organisation communale et territoriale ; et celui des conditions d’exercice du mandat municipal.

Dans les deux cas, le mot d’ordre est le même : la liberté. Or, il n’est pas de liberté sans moyens. Il faut donc, d’une part, rendre aux communes la liberté de leur avenir et, d’autre part, redonner aux maires le pouvoir d’agir. Rien ne serait pire que d’imaginer l’avenir de la commune en tournant le dos à son passé et aux formidables atouts du modèle communal français. Il faut au contraire conforter la commune dans le rôle que lui reconnaissent les citoyens et les élus.

Notre première proposition est donc, comme nous l’avions fait par le passé, de consacrer la commune comme le lieu du quotidien, de la proximité et du lien.

La commune, c’est un territoire de service et un territoire de projet – la conduite de projet est d’ailleurs, de loin, la fonction préférée des maires dans la consultation, et cela ne dépend pas de la strate démographique. La commune, c’est aussi le lieu par excellence de la démocratie locale. Voilà ce qu’il faut conforter !

Pour ce faire, je vous propose deux mesures. La première vise à consacrer constitutionnellement la clause générale de compétence des communes. C’est le fondement du pouvoir d’agir des maires, ce qui permet à toute commune de s’imaginer un projet et un avenir. La seconde, qui intéresse plutôt le versant démocratique de la commune, est de maintenir les modes de scrutin actuels pour les élections municipales et la désignation des conseillers communautaires. Comme le rappelait voilà dix ans Michel Delebarre : « le mandat à la commune s’exerce indépendamment de sa représentation à l’intercommunalité ; il constitue la source et le fondement du mandat communautaire dont le sort lui est lié. L’inverse n’est pas vrai. »

Notre deuxième proposition, c’est de faire, à nouveau, souffler un vent de liberté sur l’organisation municipale. Pour cela, il faut d’abord rompre avec le dirigisme reconfigurateur que nous avons connu depuis plusieurs années et cesser les modifications autoritaires de la carte intercommunale.

Sans défaire ce qui est fait ou détricoter la carte intercommunale, il faut laisser les communes et leurs regroupements s’adapter aux réalités de l’action territoriale. L’intégration intercommunale à marche forcée a cadenassé la marge de manoeuvre des élus. Le Sénat n’a eu de cesse, au cours des dernières années, de déverrouiller ce qui pouvait l’être lorsque cela avait du sens.

L’image du bloc communal participe de cette vision, un peu fixiste, d’un cadre figé qu’il ne faut pas remettre en cause pour régler les relations entre les communes membres et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Je vous propose d’y substituer une autre image : passer du bloc communal au biotope communal. Le biotope, c’est un milieu de vie, dont les éléments qui le composent sont en interaction et s’adaptent pour trouver, en fonction des contraintes du territoire, l’équilibre le plus efficient. Chacun doit y trouver sa place, librement, au bénéfice de l’ensemble.

Plusieurs mesures peuvent contribuer à cet assouplissement.

Il faut tout d’abord unifier les régimes de délégations de compétence, en supprimant les limitations instaurées pour l’exercice délégué de certaines compétences.

Il faut également permettre, par accord local, de modifier la répartition des compétences. Le cas le plus pertinent est celui de l’eau et de l’assainissement : il faut pouvoir réorganiser la dévolution de cette compétence en fonction des logiques territoriales et à partir des accords locaux.

L’intercommunalité doit rester une intercommunalité de projet, au service des communes. Pour cela, il y a les règles de gouvernance et il est prévu par la loi qu’après chaque renouvellement général des conseils municipaux, un débat ait lieu au sein de l’intercommunalité sur la gouvernance. Il faut étendre ce débat à la question de la répartition des compétences.

Pour que chaque commune soit écoutée, il faut qu’elle ait un pouvoir de négociation et, pour que la liberté de la commune soit respectée, il ne faut pas qu’on puisse lui imposer une décision de force. C’est pourquoi, à l’exemple de ce qu’a fait la communauté urbaine du Grand Reims, il me semble nécessaire de prévoir un droit de veto au profit des communes lorsque la commune centre détient la moitié des sièges de conseillers communautaires.

Enfin, parce que le regroupement des communes sur une base volontaire est une bonne chose, je vous propose, dans l’esprit défendu par Françoise Gatel et Éric Kerrouche dans leur récent rapport d’information sur les communes nouvelles, de faciliter l’essor de ces dernières, en lissant, notamment, les effets de seuils que peut engendrer ce regroupement.

Je le disais tout à l’heure, il n’est pas de liberté sans moyens. On sait que ceux des communes sont menacés. C’est pourquoi la troisième proposition vise à assurer aux communes des financements lisibles et prévisibles. C’est ce qui leur permettra de s’engager dans des projets avec plus de certitude.

Le deuxième axe que je vous propose de retenir pour les conclusions de la mission d’information, c’est de redonner aux maires le pouvoir d’agir.

Je suis convaincu, à cet égard, que c’est en donnant aux maires le pouvoir de faire qu’on fortifie leur engagement, qu’on donne du sens à leur mandat et qu’on favorise le lien démocratique, puisque le maire s’engage sur un projet et peut être jugé par ses concitoyens sur ce qu’il a réalisé.

La première chose à faire est de remettre de la simplicité dans l’action quotidienne des maires. Il serait tout d’abord bon de simplifier, de renforcer et d’unifier autour du préfet de département l’accès des maires à l’État. Cela passe notamment par un réarmement de l’État territorial, par l’instauration du préfet comme coordonnateur de tous les services et démembrements de l’État, y compris les agences régionales de santé (ARS), par la mise en extinction de la politique d’« agencification » et, aussi, par l‘obligation faite aux services de l’État d’avertir le maire de toute intervention de leur part sur le territoire de sa commune.« 

extrait du compte-rendu de la commission du sénat

près de 3 000 élus ont répondu, dont 2 093 maires.