AVC: Transports directs vers la clinique de Cornebarieu
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) demeurent un enjeu de santé publique qui doit mobiliser tous les acteurs de la chaîne des secours pré-hospitaliers jusqu’à la structure la plus adaptée à la prise en charge. Chaque minute compte. Les AVC sont provoqués par l’altération de la circulation sanguine dans le cerveau, ce qui peut entraîner brutalement des symptômes comme des troubles de la parole, de la marche ou de la vue. Toute suspicion d’AVC nécessite un appel téléphonique immédiat au 15, seul le médecin régulateur décidera de l’orientation du malade. Il en existe deux types : l’AVC ischémique, provoqué par l’obturation d’un vaisseau du cerveau par un caillot de sang ; l’AVC hémorragique provoqué par la rupture d’un vaisseau au niveau du cerveau responsable d‘une inondation du cerveau par du sang. Seul l’AVC ischémique peut bénéficier d’un traitement, jusqu’à ce jour par thrombolyse (dissolution du caillot par l’action d’un médicament) qui nécessitait l’évacuation du patient vers l’unité neuro vasculaire de référence de proximité qui se trouve, pour le département du Lot, au centre hospitalier de Cahors. La prise en charge de l’AVC évolue régulièrement. Actuellement la thrombectomie (dissolution du caillot par un geste chirurgical) est privilégiée. Seule une unité neurologique régionale permet cette prise en charge. L’évacuation du malade doit être effectuée à destination de la clinique des Cèdres à Cornebarieu (31), ou du centre hospitalier régional de Toulouse-Purpan. Les sapeurs-pompiers du Lot et le Samu46 ont décidé, début 2018, pour le bien des victimes atteintes de ce type de pathologie, de systématiser les transports directs et sans délais en ambulance vers ces structures (le patient doit arriver dans l’unité neurologique régionale au plus tard 6 heures après les premiers signes d’AVC). Compte tenu de l’allongement des délais d’intervention, les sapeurs-pompiers se sont donné la possibilité de modifier la composition de l’équipage si la disponibilité des personnels ne permet pas ce long trajet aller-retour. Depuis le début de l’année deux transports de ce type ont été effectués par les pompiers du Lot.
Dans les centres d’appels du Samu, un sentiment d’injustice. «Vous allez faire comme à Strasbourg ? Vous allez nous laisser mourir ?» La phrase a marqué Marlène Kint, assistante de régulation médicale au centre d‘appels du Samu du Lot. Elle pose son casque sur son bureau, juste à côté des deux centrales téléphoniques qui n’ont cessé de sonner durant le dernier quart d’heure. La première personne qui décroche quand on compose le 15 dans le Lot, c’est elle, ou l’une de ses collègues. Elle écoute, note les informations essentielles et transmet l’appel au médecin, le cas échéant. Au moment d’évoquer avec elle ce qui a changé dans son métier depuis l’affaire de Strasbourg, elle garde le visage grave. Des commentaires cinglants, elle en a entendu quelques-uns ces derniers jours.
Dans la salle de régulation du 46, on reçoit en moyenne 80 000 appels par an – environ 220 par jour – pour une population de 173 400 habitants. La plupart d’entre eux sont traités sans accroc. «En 27 ans dans ce service, on a eu des problèmes à quatre, peut-être cinq reprises», estime Thierry Debreux, chef de pôle de médecine d’urgence à l’hôpital de Cahors. Mais depuis plusieurs jours, les projecteurs sont braqués sur les rares exceptions à la règle. L’affaire de Strasbourg «nous a tous desservis», se lasse le chef de service, qui constate le climat pesant dans lequel évolue son personnel désormais. «Ça rajoute une pression qui n’a pas lieu d’être, parce que c’est une profession qui en subit déjà suffisamment.»
Dans une salle à l’écart du reste de l’hôpital, le centre d’appels cadurcien ne contient que quelques bureaux, à peine six, qui ne sont jamais tous occupés en même temps. Souvent, ils sont deux professionnels à s’y faire face : une assistante de régulation médicale (ARM) et un médecin régulateur. Ce jour-là, c’est Philippe Vicente qui s’y colle. Depuis la sortie de l’affaire de Strasbourg, il a constaté des changements dans ses rapports avec les patients : «Quand on ne prend pas la décision qu’ils espèrent, il peut arriver qu’on nous dise qu’on ne sert à rien, de toute façon.»
Des cadavres sortent du placard
Injustice, c’est le mot qui revient le plus souvent à la bouche de ce personnel soignant, qui sauve des milliers de vies par ses décisions chaque année. «On n’est pas des assassins !, s’emporte Thierry Debreux. L’autre jour, j’ai vu que mon hôpital se retrouvait mis quasiment au même niveau que le procès en appel de Jérôme Cahuzac !» En cause : le décès d’un homme de 70 ans souffrant d’emphysème pulmonaire (maladie respiratoire chronique) dans la nuit du 31 mars au 1er avril malgré l’intervention des secours lotois. Un épisode qui a suscité le dépôt d’une plainte par la famille du défunt pour non-assistance à personne en danger. «Nous sommes très tristes pour cette famille, mais malheureusement, quand il y a de l’humain, le 100 % de réponses justes est impossible. Dans ce cas-ci, nous avons réécouté les enregistrements, il n’y a pas eu, comme à Strasbourg, de manque d’empathie de la part de notre personnel. L’appel s’est déroulé de façon cordiale, il a duré assez longtemps, a été plutôt productif, le médecin régulateur a même eu le patient au téléphone», précise Thierry Debreux.
«Malgré un système très structuré comme le nôtre, dans lequel on se coordonne avec les médecins libéraux de notre territoire, l’incident peut arriver, comme n’importe où», détaille Francis Teulier, le directeur de l’hôpital. À Cahors, l’établissement dispose par ailleurs d’une unité d’évaluation pour tirer les leçons de ces mauvaises expériences. «On n’est pas dans le secret, poursuit Thierry Debreux. D’ailleurs, l’ARS (agence régionale de santé) était au courant de cette histoire avant sa sortie dans la presse.» «L’actualité nous fait avancer. La tendance est aux gens qui réclament des réponses, on y est favorables, parce qu’elle nous permet de nous améliorer, mais ce qu’il ne faut pas, c’est tout remettre en cause, avance Francis Teulier. On a un système qui possède tout de même beaucoup d’avantages, c’est le service public.»
De plus en plus, on abuse du numéro d’urgence
En moyenne, environ un appel sur deux donne lieu à l’ouverture d’un dossier de régulation. Le reste ? Du tout-venant, des fausses alertes, des abus. «Il n’est pas si rare que des gens nous appellent pour se débarrasser de certains invités après une soirée bien arrosée», raconte Philippe Vicente. «Ça n’arrivait pas avant, et c’est vrai que de plus en plus, des gens abusent de ce numéro d’urgence, ajoute Thierry Debreux. Ça va avec la croissance de l’activité. Pour beaucoup, le seul lien existant avec la médecine aujourd’hui, c’est le 15, parce qu’ils ne peuvent plus joindre leur médecin aussi facilement qu’avant.»
Cet après-midi-là, en quelques minutes, une mère a appelé parce que son fils, sujet fréquemment à des crises d’épilepsie, supportait mal son nouveau traitement ; une femme d’un certain âge avait fait un malaise après un repas certainement trop copieux (un cas courant pour le 15) ; un homme s’inquiétait de ne plus sentir ses jambes (ou en tout cas, moins que d’habitude). Sans voir les patients, le médecin régulateur a dû prendre les décisions appropriées. Rien que n’aurait pas pu faire un médecin traitant connaissant ses patients. «Il faut une certaine expérience pour avoir suffisamment confiance en soi et adopter la bonne attitude à distance, estime Philippe Vicente. Mais c’est vrai que c’est un poste que refusent de plus en plus d’occuper les jeunes médecins, parce qu’ils ne s’estiment pas prêts, ou pensent qu’ils vont subir trop de pression.» Les récents événements ne devraient pas inverser cette tendance.
Lucas Serdic La Dépêche