Bistrot de quartier (2ème épisode)

Au fond de cette pièce dédiée au jeu se trouvent les toilettes. Sur la porte moulurée peinte d’un rouge criard on peut lire WC. Ici pas de séparation homme/femme, c’est le même pour tout le monde. Les filles n’aiment pas y aller car les toilettes à la Turc ne sont pas commodes pour elles.
La porte se fermait mal, elle restait la plupart du temps entrebâillée, si bien qu’une odeur d’urine s’en échappait régulièrement . Roberte avait beau y mettre du sien , javel, désinfectant, déodorant, rien n’y faisait, l’odeur persistait.
Clochette, la chatte de la maison allait souvent y faire un tour, à croire qu’elle avait repéré l’utilité du lieu , elle se postait au dessus du trou utilisé à cet effet et soulageait ses besoins, repérée immédiatement par l’odeur, Roberte, ni une , ni deux, montait à l’assaut pour l’attraper par le cou et la sortir des latrines.
Pour les clients, chaque visite des toilettes était accompagnée d’un jet d’eau torrentiel qui parfois inondait leurs pieds , s’en suivait un « oh!! merde! » bien adapté et signifiant que la place était libre.
Du côté des jeux, les jeunes, le bas du ventre collé au flipper, étaient absorbés par la boule qui zigzaguait sur le plateau et se cognait contre les billeurs.
A tout instant, retentissait un clack sonore, au même moment, le joueur projetait son bassin en avant , comme s’il voulait s’accoupler avec la machine. Tout à son excitation, il ne mégotait pas sur quelques mots grossiers.
« Ça suffit les jeunes » intervenait Robert qui ne tolérait pas ce langage chez lui.
Les filles , un peu garçons manqués, jouaient avec eux, plus patientes mais combatives, elles gagnaient souvent , c’était leur manière à elle de séduire.
Plus loin, assises autour d’une table en Formica, quelques nanas d’un autre genre, sirotaient un petit blanc moelleux, accompagné de quelques chips, elles se savaient regardées et en rajoutaient pas mal sur leur façon de parler, sur leurs éclats de rire, leurs gestes qui se voulaient féminins comme celui de rejeter ses cheveux en arrière. C’était des ados, qui ne se sentaient appréciées qu’en s’éloignant d’elles mêmes. Elles parlaient de leurs histoires d’amour et de celles des autres, elles ne manquaient pas de s’esclaffer régulièrement pour attirer l’attention des garçons qui profitaient du message pour les rejoindre avec des allures de James Bond, ils s’avançaient vers elles, leur posaient quelques questions, histoire de se donner une contenance, du genre « Alors! on papote, les filles… ! »
Un peu plus loin, les plus âgés gardaient un œil sur tout ce qui se passait , ce petit jeu de séduction chez les jeunes, les titillaient.
Pour certains, ce petit manège les faisait sourire, il leur rappelait leur jeunesse, leurs belles années « le bon temps! » comme ils disaient…
Pour d’autres, c’est le goût amer du regret, qui les rendait rugueux, susceptibles , méchants parfois.
Toutes ces frustrations accumulées, la perte de leur travail, les rêves envolés, le petit train train quotidien, la pauvreté, finissaient par les plonger dans le désespoir, ce qui n’arrangeait pas les choses…
Mais au fond de chacun subsistait un espoir, celui de gagner à la loterie ou au tiercé. En effet chaque dimanche matin ils faisaient la queue devant le comptoir de Robert pour parier sur tel ou tel cheval qui gagnant la course leur permettrait un avenir plus rose. A chaque fois c’était le même rituel, consulter la page hippique du

journal, regarder les avis des pronostiqueurs et enfin faire leur choix. Le choix des trois chevaux gagnants et si possible dans l’ordre.
À l’avant du comptoir près de la porte Robert avait installé un coin jeux à gratter. Il l’avait mis en évidence juste devant les paquets de cigarettes qui s’alignaient sur le mur. C’était pour lui une partie importante de la recette du café, chaque fois que l’un d’eux grattait une de ces petits cartons il se mettait 5% dans la poche.
Pour les joueurs, c’était pas gagné, dans la mesure où les petites rentrées d’argent ne compensaient pas les sorties régulières qui finissaient par faire une grosse somme…
Leurs épouses n’étaient pas d’accord, elles ne faisaient pas de plans sur la comète, elles ramenaient tout à des situations expérimentées.
Elles pensaient aux enfants qui avaient besoin de chaussures neuves pour la rentrée des classes, elles pensaient aux fins de mois difficiles qui les empêchaient de mettre un beau morceau de lard dans la soupe.
Elles ne s’attardaient pas à ces désirs cupides, ceux d’avoir une belle maison et comme dans la chanson de Bobi Lapointe, avec un frigidaire, un joli scooter, un atomixer et du Dunlopillo…
Elles n’avaient pas besoin de se retrouver sur Mars, elles ne s’appelaient pas Elon Musk… elles avaient les pieds sur Terre et comptaient bien y rester, …… (à suivre)

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Nouvelle à 4 mains