Boites à livres
Concorès : « Une boîte à livres a été installée à l’extérieur de la maison des associations!! Dans ce petit espace, vous pourrez y déposer les livres que vous avez finis et en prendre d’autres gratuitement. Partage et réutilisation. C’est super pratique pour découvrir de nouvelles lectures sans dépenser un centime ! »
Cette annonce parue récemment sur le site de la mairie, m’a donné envie de vous parler des boîtes à livres
Un peu de l’enquête de Claude Poissenot » Qui sont les publics des boîtes à livres ?«
… à voir si vous (vous) reconnaitrez …
Un public féminin : en toute logique puisque les statistiques des usagers des bibliothèques et des librairies indépendantes montrent que les lecteurs sont plus souvent des lectrices.
Les femmes viennent « sans idée de départ », « un peu au hasard » acceptant, voire recherchant un effet de surprise, de découverte, alors que les hommes ont plus souvent une recherche précise. Ils viennent pour prendre ou pour déposer des livres alors que les femmes conjuguent dépôt et prélèvement.
Plus souvent diplômé, il n’en reste pas moins qu’une personne sur cinq qui n’a pas fréquenté l’enseignement supérieur entretient un rapport à la lecture à travers ce cadre.
Les boîtes ne sont pas l’apanage des petites communes comme on pourrait le penser. Il y en a beaucoup en ville certainement parce que le cœur des usager.es a entre 35 et 64 ans, et que vivre .dans des logements plus exigus, conduit à se servir davantage des boîtes pour « faire de la place ».
Mais ça tourne! Il n’y a pas que les dépôts. Les boîtes n’auraient pas le succès qu’elles rencontrent si elles ne correspondaient pas à une attente personnelle. Car ce moment où l’on est devant une boite à livres nous implique.
Les 3/4 des usagers disent utiliser les boîtes à la fois pour trouver et déposer des livres; ceux qui déposent le font pour se débarrasser, pour faire de la place ou parce qu’ils n’ont pas aimé le livre et veulent lui donner comme une deuxième chance.
Je me permets ici un témoignage personnel: utilisatrice ponctuelle des boites à livres, je dépose des livres sortis assez récemment et que j’ai beaucoup aimés. De temps en temps j’en prends. Et surtout, surtout, je recherche si celui que j’ai aimé et que j’ai déposé la dernière fois a été pris. Parce que s’il n’est plus là, alors je m’imagine que celui ou celle qui l’a pris va aussi peut-être et l’aimer. Et j’aime cette idée que peut-être j’aurais fait découvrir un livre ou un auteur.
En tout cas, l’enquête le constate, ces boîtes à livres sont plébiscitées pour la souplesse qu’elles offrent. Accessibles quand on le souhaite, permettant de prendre ou de donner des livres ou juste de les regarder sans surveillance (et donc, risque de jugement), elles proposent un espace d’autonomie partagé.
Cinq fois plus nombreuses qu’il y a six ans, 10 000 sites sont recensés en France. Bravo à la nouvelle venue de Concorès !
Un peu d’histoire : la bibliothèque ouverte
Les premières boites à livres apparaissent dans les années 1990 dans la ville autrichienne de Graz. sous le vocable de « bibliothèques ouvertes ». Imaginées par un duo d’artistes, Clegg & Guttmann dont « L’idée de départ était de dépasser le ready-made et de poser des questions sociologiques en faisant sortir l’art des murs du musée » (Martin Guttmann).
À la recherche d’un dispositif faisant dialoguer le musée et la cité, ils avaient ainsi imaginé « une bibliothèque sans bibliothécaire et sans surveillance » ; Ils avaient disposé dans un quartier périphérique trois bibliothèques ouvertes avec l’instruction trilingue (allemand, anglais, turc) suivante : « Vous pouvez prendre des livres pour un temps limité. Dons de livres appréciés. »
« Nous voulions savoir si les visiteurs du musée iraient voir les bibliothèques et si les utilisateurs des bibliothèques iraient au musée, expose Martin Guttmann. Nous voulions aussi savoir comment les bibliothèques s’inscriraient dans le paysage. Effectivement, les habitants les utilisaient, y déposaient des flyers, y accrochaient des affiches, mais ils ne sont pas allés au musée alors que les visiteurs venaient voir les bibliothèques. ». Le projet a été renouvelé à Hambourg en 1993 et à Mayence (Allemagne) en 1994. « L’idée était d’inspirer les gens, d’apporter quelque chose de nouveau aux institutions, un esprit de liberté et de citoyenneté.
30 ans plus tard, les bibliothèques ouvertes de Clegg & Guttmann ont essaimé sur la planète.
Un peu de sociologie: don et contre don
Les boîtes à livres créent un échange déconnecté de toute nécessité pratique. On ne vient jamais y chercher un livre précis. L’ensemble du processus n’est adossé à aucune contrainte formelle ou légale comme dans une bibliothèque municipale où il existe des conditions d’inscription et des règles pour emprunter. Tout repose sur le volontariat.
Tout cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucune norme dans les échanges. On constate en effet que les utilisateurs des boîtes à livres déposent autant qu’ils prennent, et ce, de façon proportionnée : personne n’emporte tous les livres en bloc. Prendre est socialement corrélé à déposer, le contre-don est lié au don : chaque usager a assimilé cette discipline qui est pourtant inexprimée.
L’attente implicite des individus qui utilisent les boîtes à livres est qu’elles ne soient pas vides (on apporte un livre en échange de celui que l’on prélève), ni ne débordent (on ne déverse pas des livres obsolètes, abîmés, destinés au recyclage). Bien qu’apparemment volontaires, le don et le contre-don répondent en fait à des obligations sociales très précises.
Un nouveau mal ne guette-t-il pas ?
Dans leur rapport pour l’Ademe intitulé « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? », Lucie Brice Mansencal, Valérie Guillard et Charlotte Millot constatent que certains utilisateurs des plates-formes de vente de produits d’occasion comme Vinted ou Leboncoin se professionnalisent. Le recours à l’occasion n’est plus motivé par la conjugaison de la quête de lien social et de solidarité, comme dans les vide-greniers ou les braderies associatives de type Emmaüs, mais par la volonté d’acheter de façon efficace économiquement, voire de réaliser des profits.
Espace jusqu’alors protégé, fragment d’utopie bienveillante dans la ville, la boîte à livres n’échappe pas à ces personnes qui , code barre des livres en mains pour en connaître le prix d’occasion, évaluent le profit qu’ils pourraient en tirer à la revente et détournent l’objet de la boite à livre. Si ces détournements intéressés, sont heureusement encore marginaux, le risque est que cette quête exclusive de contrepartie financière n’entraîne une baisse de la qualité de ce qui est déposé et fasse péricliter nos boîtes à livres.
Alors faudra-t-il marquer le livre d’une dédicace comme : « j‘ai déposé ce livre le ….. dans la boite à livres de ….afin que tu puisses lire ce livre avec plaisir. Amitiés.’
Sources : the conversation – actualitte. franceculture start.lesechos.
Si vous aimez les boites à livres, envoyez nous des photos des boites à lire de votre ville ou village. Nous les publierons sur le blog ! (contact@blogdesbourians.fr)