Comment le principe de laïcité s’est-il forgé?
Conférence par Jean Froidure, le 12 juin à Luzech.
Ancien élève de l’École Normale Supérieure rue d’Ulm, agrégé, enseignant la littérature et la civilisation germanique à l’Université de Toulouse le Mirail, doyen de la faculté et directeur des langues étrangères appliquées, Jean Froidure donne depuis 4 ans, une série de conférences, commencée avec Constantin, poursuivie avec Charlemagne, Luther, Voltaire. La dernière en date avait pour thème « Napoléon et le Concordat ». Cette fois-ci, le sujet porte « du Concordat à la loi de 1905, loi de séparation des Églises et de l’État ».
Quels événements ont-ils conduit au vote de la loi de 1905 ?
Dès les origines, une Église universelle. La grande fracture de l’histoire du christianisme remonte à Constantin : sur une période de trois siècles, les chrétiens n’avaient qu’une mission, formulée dans l’évangile de Matthieu 29 « Allez donc de toutes les nations faites des disciples ». Grande nouveauté, il est demandé d’enseigner toutes les nations, donc d’enseigner sans aucune attache avec une nation particulière. Les juifs se tournaient vers leur Dieu, le Dieu du peuple juif, même s’il était Dieu de l’humanité. Pour toutes les religions de l’époque, les dieux étaient liés à un empire. Donc, grande originalité du mouvement né de Jésus, il devient religion avec sa doctrine, ses rites, son culte et son clergé, mais une religion sans attache géographique, sans territoire défini. Situation tout à fait révolutionnaire, c’est, avant la lettre, la séparation de l’Église et de l’État.
Ensuite, un État confessionnel. Survint Constantin le Grand (280-337) qui se convertit. Théodose Ier, au IVe siècle, fait du christianisme la religion officielle et unique de l’Empire et ordonne la destruction des temples païens. Nous entrons dans la période de « l’union du trône et de l’autel », la chrétienté, union du religieux et du politique et pour la France cela durera 15 siècles. Pour sa part, Henri IV, par l’Édit de Nantes (1598), impose pour les réformés, la tolérance religieuse : coexistance des sujets de confessions différentes. Louis XIV (1682) proclame que « les Papes n’ont reçu de Dieu qu’un pouvoir spirituel et que les rois et princes ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique », ainsi fut libellée la Charte du gallicanisme ». Les rapports entre les deux pouvoirs étaient distincts mais non séparés ; première remise en cause de la théocratie.
Et c’est ainsi qu’arrivent Bonaparte et le Concordat de 1801 ?
Le Concordat, régime des cultes reconnus. En effet, la Révolution avait cassé l’Église de France : biens confisqués, prêtres-jureurs contre prêtres non-jureurs ; la quasi-totalité des évêques avaient émigré et rejoint l’armée ennemie de la France, car les armées de toutes les monarchies européennes s’étaient coalisées contre la République française. Cette fracture s’est traduite dans notre pays, par des conflits armés -guerre de Vendée- une catastrophe : plus de 200 000 morts ! Le Concordat veut faire la paix et l’unité autour de deux acteurs : Bonaparte et le Pape Pie VII qui vont s’entendre sur une transaction. Bonaparte liquide tous les évêques et obtient du Pape leur destitution. C’est le gouvernement qui choisit les évêques et le Pape garde un droit de regard puisqu’il leur donne l’investiture. De plus, Bonaparte restitue au Pape les États pontificaux libérés. La religion catholique, apostolique et romaine est reconnue comme religion de la grande majorité des Français, mais non plus comme religion d’État. De son côté, le Pape trouve là l’occasion providentielle de liquider le gallicanisme, et les Évêques vont pouvoir, avec les congrégations, arme majeure de l’Église, avoir prise sur la population au travers de l’École (enseignement primaire et secondaire). Cette tractation va être source de discordes et plus que de Concordat, on devrait parler de Discordat. L’État reconnaît les droits canoniques des catholiques mais l’Église ne reconnaît pas les lois de l’État ! Dans son encyclique « Quanta cura » (1864), le pape Pie IX qui venait de perdre ses États, donc sa domination sur Rome, condamne le rationalisme, le gallicanisme, le socialisme, le libéralisme. Dans le Syllabus « Recueil des erreurs de notre temps » qui accompagne l’encyclique, il dénonce les idées portées par une société moderne.
Dans quel contexte a été votée la loi du 1er juillet 1901 sur les associations ?
Liberté d’association dans un but non lucratif. 55 000 prêtres, 200 000 religieux, 400 congrégations qui ouvrent des écoles dans presque tous les villages. Cette « armée » permet à l’Église un contrôle absolu sur les populations. La loi de 1901 est une astuce que Waldeck Rousseau a trouvée, pour contrôler les congrégations. En effet, elles ont pour obligation de déposer une demande d’autorisation et des statuts conformes à la loi. Le gouvernement Combes, peut faire ainsi son tri et ne donner que des réponses pratiquement toutes négatives. Si utile aujourd’hui, cette loi, à l’origine, était une réponse aux désaccords entre l’Église et la République. C’était une première étape qui permettait aux Républicains d’interdire aux congrégations l’enseignement et ainsi chasser l’Église de l’école. Inexorablement nous allons vers l’affrontement.
Et c’est dans ce contexte d’extrême tension qu’est adoptée par les représentants de la nation la loi de 1905 dite loi de séparation des Églises et de l’État
Séparation avec garantie de liberté et continuité du culte. S’il n’y avait pas eu l’affaire Dreyfus, le Concordat aurait été maintenu car tout le monde y trouvait son compte. Mais l’Église voit dans cette affaire d’État, un complot des forces anticléricales : protestants, juifs, libres-penseurs et francs-maçons. Les déclarations du Pape Pie X contre la politique française entraînent la dégradation puis la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. Devant l’intransigeance du Pape, Émile Combes se résout à la séparation. Aristide Briand, rapporteur de la commission parlementaire, voulait calmer le jeu en présentant une loi acceptable pour tous et par tous : elle fut adoptée à la Chambre des députés, par 341 voix contre 233. Les deux premiers articles en résument l’essentiel :
Article premier : la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes…
Article deuxième : la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte… On peut dire que la laïcité (du grec laikos, peuple) trouve là ses lettres de noblesse. Elle a pour éthique la liberté absolue de conscience et entend appliquer une totale neutralité entre pouvoirs politiques et pouvoirs religieux. Très mal accueillie par l’Église, cette loi difficile à appliquer, va faire l’objet de vives tensions, plus particulièrement autour des inventaires des biens ecclésiastiques. Et pourtant les évêques étaient d’accord pour la création d’associations cultuelles, mais le Pape refuse. Ces associations cultuelles ne seront mises en œuvre qu’en 1923. Comme on le voit, il faut attendre la fin des années 1950 pour que soit enfin compris et accepté par tous, le principe de la laïcité, devenue principe constitutionnel en 1958.
Pourquoi le principe de laïcité qui découle de cette loi est-il, par certains, remis en cause aujourd’hui ?
Il existe des oppositions incontestables entre ceux qui se réclament de la laïcité, émanation de la loi du 9 décembre 1905 et la religion. Ces tensions ne viennent pas du côté des catholiques, la loi ne leur pose aucun problème mais des musulmans, plus grande religion de France après le christianisme. Ils revendiquent la construction de lieux de culte – des mosquées – et ils y ont droit. Mais comment peuvent-ils faire face à de tels investissements sans l’appui de l’État ? Dans la plupart des cas avec de l’argent qui vient des intégristes, salafistes, des propagandistes d’un islam militant voire militaire, problème qui se pose à tous les pays d’Europe et plus particulièrement à la France. Il s’en est suivi une vague de protestations, l’État n’a pas de concession à faire à quelque religion que ce soit, il doit appliquer « la loi, toute la loi, rien que la loi ». Et les tensions ont été un peu plus attisées encore avec l’affaire du port du voile islamique. Étudiant dans les années 50, sur les bancs de la Sorbonne (et la Sorbonne était plus qu’à gauche), j’avais à mes côtés une sœur portant cornette qui était parfaitement acceptée. Une religieuse portant ostensiblement les signes de son engagement ne posait pas de problème, alors qu’aujourd’hui si elle n’est pas rejetée, une femme musulmane portant le voile est regardée « de travers » ! C’est bien parce que les musulmans, même s’ils sont nés en France ne sont pas considérés comme Français, mais plus comme des étrangers. L’extrême-droite essaie de récupérer cette frange radicale des défenseurs de la laïcité. Ce n’est donc plus la loi de 1905 qui est mise en cause mais une attitude hostile à tous les immigrés surtout lorsqu’ils affichent et pratiquent leur religion.
Un mot de conclusion ?
Cette loi a eu rapidement des effets bénéfiques. Je voudrais saluer le courage et la ténacité de deux grands hommes politiques Aristide Briand et Jean Jaurès qui ont su faire de cette loi, non pas une loi de combat, mais de pacification. Jean Jaurès, figure majeure du socialisme, a pris la défense des moins bien lotis, des ouvriers des mines de Carmaux et du Capitaine Dreyfus. Brillant intellectuel, il a mis tous ses talents au service de la Paix. Aujourd’hui, faisons de cette loi de 1905, la loi du « bien vivre ensemble », c’est le plus bel hommage que nous pouvons leur rendre.
Rendez-vous à Luzech à 15 h (fin prévue à 17 h), chez Gérard Bessière, lieu-dit « La Grave », route d’Albas, face à la piscine.
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