Départ en vacances

Robert et Roberte n’avaient pas quitté les murs du bistrot depuis des années. Pris par le commerce, ils avaient laissé passer les jours, les mois, les décennies sans réellement en profiter. C’était devenu leur rituel, chaque matin Robert soulevait le lourd volet de fer et allumait les lumières pendant que Roberte, encore en peignoir, mettait la machine à café en marche et passait le dernier coup de serpillière. Chaque jour, ils accomplissaient la même chose sans se rendre compte du temps qui passe. Mais, cette fois, c’était différent, c’était décidé, ils allaient prendre quelques jours et retourner dans leur Lot natal. Ils avaient besoin de prendre l’air, de se ressourcer et la famille, il n’y a rien de tel !

Cette décision leur avait donné un coup de booste, une sorte de frénésie s’était emparé d’eux. Robert avait préparé un panneau qu’il accrocherait bientôt devant le rideau de fer : « Fermé pour congés du x au x » Rien que le fait de tracer les lettres à l’aide de son gros feutre noir, l’avait mis en joie. Roberte, elle, faisait le tour des frigos, écoulant tout ce qui était périssable. Ils avaient l’impression de partir pour une éternité. Roberte voulait que tout soit parfait, que le bistrot et leur logement soit impeccable :

« Et si on meurt en route et qu’on nous ramène ! Je ne voudrais pas qu’on trouve que c’est sale… je me retournerais dans ma tombe !!

Si bien que chaque recoin, chaque chose était précieusement récuré.

Les jours passaient rapidement et bientôt le moment tant attendu de la fermeture arriva. Les habitués avaient été chamboulé. Ils avaient l’impression que cette interruption d’une semaine allait être définitive. Ce n’était jamais arrivé ! Pour eux c’était un drame, où allait-ils boire leur café le matin, leur petit vin blanc à midi et se retrouver pour discuter de choses et d’autres ?

Cette décision, bien que très naturelle avait semé un vent de panique dans le quartier !

Au moment de se glisser au volant de son fourgon, Roberte installée sur le siège passager, un énorme sac pique-nique à ses pieds, Robert se tourna vers l’un d’eux qui avait tenu à être présent au moment du départ et lui dit :

« Surveille bien, et ne laisse pas les jeunes tagguer le rideau ! … A bientôt… »

Bientôt, on entendit plus le bruit du moteur diesel. Ils venaient de s’engager sur le périph…

Roberte ne conduisait jamais, mais elle surveillait son mari de près, elle l’avait à l’œil, lorsque Robert enclenchait le clignotant, elle fixait son regard sur le rétroviseur.

Si le fourgon s’essoufflait, elle vérifiait la vitesse sur le cadran et au moindre écart, elle s’exclamait: « Robert, ralentis tu es à 140! »

« Tu ne peux pas te reposer un peu et me foutre la paix » rétorquait Robert.

Roberte ne fermait qu’un œil, elle continuait à l’espionner de l’autre.

« Quelle comédienne, tu fais! » ronchonnait Robert, « tu aurais dû faire du théâtre, au moins, tu nous aurais fait rire… »

Les kilomètres défilaient, les paysages glissaient, le temps fluctuait, le fourgon ronronnait…

« Tu devrais prendre la prochaine sortie et t’arrêter dans un petit coin tranquille, je commence à avoir faim » poursuivit Roberte.

Robert ne se le fit pas répéter deux fois, son ventre qui gargouillait, se manifestait depuis déjà un bon moment.

A l’ombre, il faisait frisquette, mais au soleil, c’était délicieux.

Le couple rayonnait.

« Qu’est-ce que tu as mis dans les sandwiches, c’est rudement bon » dit Robert , tout en mâchouillant.

« Rien d’extraordinaire, mon poussin, c’est juste que le grand air donne bon goût. Je suis tellement contente de respirer le bon air!

Ça me manquait rudement ces champs, ces arbres et toutes ces bonnes odeurs… »

« Ça nous rajeunit, sourit Robert en attrapant Roberte par les épaules et en lui faisant un baiser dans le cou! »

Il ne restait plus que quelques heures pour arriver à leur destination….