Des maires désenchantés face à des citoyens consuméristes
Alors que le centre de recherches de Sciences-Po (Cevipof) vient de publier les résultats d’une vaste enquête menée auprès de 4 650 maires en France, un colloque au Sénat s’attaquait, le 15 novembre, à l’épineuse question de « la revitalisation de l’échelon communal ». Pour Luc Rouban, co-auteur de l’étude du Cevipof et intervenant au colloque, deux dangers guettent notre démocratie : la montée de la défiance envers les élus locaux, et l’attitude consumériste de nombre de citoyens. De quoi expliquer pourquoi un maire sur deux ne souhaite pas se représenter aux prochaines élections municipales…
« À la question : envisagez-vous d’abandonner tout mandat électif après les prochaines élections municipales ? 49 % des maires que nous avons interrogés ont répondu par l’affirmative » détaille Luc Rouban, chercheur au centre de recherches de Sciences-Po et co-auteur de l’étude, « Les maires de France : entre résignation et incertitude », publiée avec l’Association des Maires de France (AMF). Un taux inquiétant, qui marque « un vrai désinvestissement des maires, notamment dans les plus petites communes » explique le sociologue lors de colloque consacré aux pistes avancées par le Sénat pour renforcer le rôle et le statut de la commune à la suite du rapport de Mathieu Darnaud.
Le chercheur du Cevipof poursuit : « si l’analyse des réponses montre une exaspération pour différentes raisons [voir les chiffres clés], deux d’entre elles posent, selon moi, des questions sur l’avenir de notre démocratie : le sentiment de dépossession ressenti par les maires à l’égard des intercommunalités et le lien de plus en plus consuméristes qu’entretiennent les citoyens avec leurs communes.
Des maires « dépossédés », des citoyens défiants
La montée en puissance ces dernières années des intercommunalités – souvent de gré, parfois de force – a véritablement créé un « sentiment de dépossession politique et administrative » chez de nombreux élus locaux, note ainsi Luc Rouban qui pointe en parallèle un « dilemme ». 80 % des édiles interrogés considèrent ainsi que l’intercommunalité a beaucoup d’influence sur leur commune alors qu’ils ne sont que 25 % à penser que leur commune exerce une influence sur l’EPCI .Cette réorganisation vers un échelon censé être plus « efficace », en termes de gestion et permettant de « faire des économie d’échelle », s’est accompagné chez les citoyens d’une montée de la défiance envers les maires.
« Jusqu’ici, le maire résistait à cette ambiance de défiance que les Français entretiennent avec leurs élus. Le maire était un peu le ‘dernier bastion’. Or, l’année dernière, la confiance accordée au maire a chuté, passant de 65% à 55 % » précise Luc Rouban, qui voit dans cette dégringolade une « fracture sociale plus vaste ». Car selon le chercheur, les ressorts de la confiance accordée élus diffèrent selon les catégories sociales. Si les classes supérieures semblent plus volontiers faire confiance au maire sur la base de ses qualités professionnelles, pour les classes populaires, « c’est la proximité sociale et l’engagement moral » qui vont primer.
« En créant ainsi de grandes entités, plus efficientes, on affaiblit ce lien de confiance, notamment dans les plus petites communes de France. C’est un dilemme entre deux pouvoirs : celui de la proximité ou celui appartenant à une entité plus abstraite, plus lointaine » détaille Luc Rouban, qui voit ici un « débat de fond » que notre société doit résoudre.
Le citoyen consumériste
Le chercheur a également pointé un autre élément mis en lumière au cours de l’étude : la naissance du citoyen-consommateur. Pour plus d’un tiers des maires interrogés (37%), les exigences de plus en plus importantes des administrés font partie des raisons les poussant à renoncer à autre mandat électif, au point d’être la troisième raison évoquée par les maires pour justifier leur décision de ne pas se représenter derrière la volonté de préserver vie personnelle et familiale (71%) et la sensation d’avoir rempli leur devoir civique (53%). Les citoyens tendent en effet à se transformer en « consommateurs de services publics », une posture de plus en plus dénoncée par les élus, qui peinent à mobiliser sur leurs territoires des acteurs soucieux de l’intérêt général. Le déclin du monde associatif étant l’autre versant de ce même problème.
Ainsi, pour Luc Rouban, le maire qui « était auparavant considéré comme un ‘mandataire social’ gérant les affaires de la cité au nom de l’intérêt général, se retrouve désormais aux prises de citoyens qui, pour les plus aisés exigent de lui qu’il ‘manage’ la commune et pour les classes populaires, qu’il rende des comptes, tout le temps et en toute transparence. » « Nous avons ici un vrai défi de société… et j’avoue que je n’ai pas les réponses à cette question très complexe » a conclu le sociologue.
Chiffres Clés
- 49 % des maires ne veulent pas se représenter à la fin de la mandature. Cette proportion atteint 55 % pour les maires des communes de moins de 500 habitants contre 28 % pour les communes de 5 à 10 000 habitants et 9 % pour les communes de plus de 30 000 habitants. En 2014, 60 % des maires sortants ont été réélus.
- 55 % des maires des communes de moins de 500 habitants à envisager l’abandon de leur mandat, contre 28 % pour les maires des communes de 5 à 10 000 habitants et 9 % pour ceux des communes de plus de 30 000 habitants.
- 34 % des maires invoquent des raisons fonctionnelles pour expliquer leur volonté de ne pas se représenter, telles le manque de moyens financiers (33,9 %) ou le manque de personnels (14,8 %). 36 % des maires expliquent avoir de plus en plus de difficultés à satisfaire les demandes de leurs administrés.
- 75 % des maires interrogés jugent de manière négative les changements introduits par la loi Notre et 68 % désapprouvent la réorganisation des services déconcentrés de l’État.
Plus de la moitié des maires des communes de moins de 500 habitants envisagent de ne pas se représenter. C’est une question majeure. Un sujet préoccupant pour moi qui habite le Lot depuis 20 ans et à propos de laquelle je livre ici analyse et constats. Je viens d’une ville de la banlieue parisienne de plus de 90.000 habitants. Mes commentaires réunissent les avis de plusieurs personnes néorurales comme moi.
1/ des traditions locales
Dans ma banlieue j’assistais régulièrement aux réunions du Conseil Municipal, ce qui a été fortement critiqué lorsque je suis arrivé dans le Lot. Il a fallu que je rappelle la Loi.
Les élus sont dans l’entre soi, avec des successions familiales parfois. L’idée sous tendue est qu’il faudrait être natif pour comprendre les administrés.
Les propositions d’animations sont perçues comme une future opposition ou la construction d’une nouvelle liste
2/ Les compétences
Une confusion entre dévouement, habitude et compétence.
Aucun élu de ma connaissance n’a suivi l’une des formations disponibles pour les nouveaux élus. D’où absence de débats, peu de délégation et donc une overdose de travail et d’engagement pour 3 ou 4 personnes qui animent le conseil.
Un passage difficile avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information pour des raisons d’âge mais aussi par manque de vision. Là encore surcharge. Par exemple, dans mon village, il y a 10 ans, nous étions 7 personnes compétentes pour faire découvrir l’informatique. Proposition rejetée.
3/ La capacité à mener des débats
Travail de plus en plus difficile avec l’évolution des personnes (plus individualistes, plus consuméristes). A ma connaissance très peu de personnes ont suivi des formations dans ce domaine.
4/ des « jeunes élus » cumulards
Quelques élus ont cessé leur ancienne activité professionnelle et vivent avec les indemnités cumulées de fonctions électives. Cela pose la question de la professionnalisation de la fonction de Maire et pour l’élu, à terme, celle de la défense de son poste.
5/Conclusion:
La fonction de Maire a singulièrement évolué. Autre fois, « chef de village » charismatique ou reconnu, elle est devenue technicienne avec des compétences diversifiées (techniques, juridiques, relationnelles, informatives) et des responsabilités accrues sur la personne. Tout cela implique une évolution des pratiques, de la formation, de la capacité à solliciter ou s’entourer de compétences. Une nouvelle façon de faire ensemble pour être moins seul.