Des propositions pour les jeunes ruraux
Sollicité par le gouvernement, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est penché sur la place des jeunes de 16 à 29 ans dans les territoires ruraux. Insuffisamment pris en compte par les politiques publiques et par les élus ruraux, ils constituent pourtant une ressource inestimable pour l’avenir des territoires ruraux, fait valoir le CESE.
Avis aux jeunes habitants des zones rurales : le gouvernement ne vous a pas oublié. Il s’inquiète de leur « accès à l’autonomie », de leur « éloignement géographique des lieux de décision » aussi. Dans la saisine qu’il a adressé cet été au Conseil économique, social et environnemental (CESE), Manuel Valls, qui était encore Premier ministre, évoquait également le « manque de débouchés professionnels lié entre autres à la dévitalisation de certains territoires », ainsi que le « sentiment d’impuissance et d’abandon de la part des pouvoirs publics exprimé par une frange croissante des jeunes ruraux à travers l’abstention et le vote extrémiste. »
Les sections Education et Aménagement durable des territoires du CESE ont contribué à dresser, au cours des six derniers mois, une photographie moins alarmiste mais tout à fait éclairante des conditions de vie des 1,6 millions de jeunes ruraux âgés de 15 à 29 ans. Des jeunes « aussi divers que le sont les ruralités », précise Danielle Even, rapporteure de l’avis ayant été adopté à l’unanimité, mercredi 11 janvier au Palais d’Iéna, devant le ministre de la Ville et de la Jeunesse, Patrick Kanner.
Jeunes ruraux : des problématiques spécifiques
Les jeunes ruraux, majoritairement issus des classes populaires, sont plus nombreux que les jeunes des territoires urbains à « faire des études courtes et davantage à caractère professionnels », constatate-t-elle d’emblée avec son co-rapporteur, Bertrand Coly. Assez logiquement, ils entrent plus tôt que ces derniers dans la vie active. Moins confrontés au chômage que leurs homologues urbains, ils sont davantage à se retrouver ni en formation ni en emploi.
« S’ils sont pour beaucoup contraints par les difficultés de la mobilité, très prononcées dans les espaces ruraux, ils sont aussi particulièrement attachés et impliqués sur leurs territoires » peut-on lire dans l’avis. Lors de leurs auditions, le souhait de « vivre et travailler au pays » est effectivement revenu à plusieurs reprises.
Fédérer les accompagnateurs de projets
C’est pourquoi le CESE préconise notamment de rendre obligatoire au sein des communautés de communes une compétence « Jeunesse », inscrite dans le Code général des collectivités territoriales. Les intercos sont invitées à structurer sans attendre leurs actions au sein d’un Projet Jeunesse de Territoire, sur le modèle des projets éducatifs de territoire (PEDT). Financé par le bloc local mais aussi les conseils départementaux et régionaux, l’Etat et les CAF, le contenu de ce document stratégique pourrait même être co-construit avec la société civile grâce à des Conseils de développement rajeunis et dynamisés.
Charge aux collectivités locales, également, de mettre en place, des « campus ruraux de projets » qui seraient des lieux dédiés à l’accompagnement des jeunes désireux de créer des activités économiques, sociales, citoyennes, culturelles, festives ou ludiques. Ces espaces auraient vocation à fédérer les services de développement économique des collectivités, missions locales, associations de développement rural, chambres consulaires et chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CRESS). Objectif : construire les territoires ruraux d’aujourd’hui et de demain.
Un « Pacte jeunes ruraux », sur le modèle de la politique de la ville
Dans cette optique et afin de garantir un minimum d’équité entre urbains et ruraux, le CESE estime par ailleurs nécessaire de mettre en place au niveau national un « Pacte jeunes ruraux », dans le cadre des Comités interministériels aux ruralités, décliné via les Contrats de ruralité. Concrètement, il s’agirait de flécher des moyens financiers et/ou humains pour faciliter l’accès au droit, à l’emploi, au logement, à la culture ou encore au haut-débit. Dans bien des domaines, il ne s’agit pas tant de trouver des ressources supplémentaires que de mieux coordonner les acteurs existants, d’animer des services itinérants et de s’assurer que les jeunes soient correctement accompagnés.
Si un tel Pacte venait à voir le jour, la formation devrait assurément en être un des piliers. Aux yeux du CESE, il s’agit d’un enjeu fondamental pour le développement des territoires ruraux à l’avenir. Pour l’heure, l’insuffisante offre de formation à proximité, dans le secondaire comme l’enseignement supérieur, n’est pas sans conséquences sur l’orientation des jeunes. D’où l’idée des rapporteurs de développer, par exemple, des aides financières, sur le modèle des bourses pour l’accès au logement et au transport.
Mobilité, santé, citoyenneté : des enjeux prégnants
Parce que la mobilité détermine bien souvent le degré d’employabilité et donc l’insertion socio-professionnelle, et parce que l’absence de mobilité donne le sentiment d’être enfermé sur son territoire, ce thème devrait également figurer en bonne place de ce Pacte. D’ores et déjà, les élus ruraux volontaristes pourraient développer des centrales de mobilité – afin d’accélérer l’essor du covoiturage et de l’autopoartage –, l’apprentissage du permis de conduire ainsi que la prise en charge financière par la collectivité des transports en commun, totale ou partielle, lorsque ce n’est déjà fait.
Au-delà de l’existence de déserts médicaux dans les territoires ruraux, les deux rapporteurs de l’avis du CESE confirment la nécessité, en matière de santé publique, d’« aller au devant des jeunes. » Estimant que beaucoup d’entre eux passent entre les mailles de la prévention santé par rapport aux autres catégories d’âge, ils recommandent « d’étendre la mise en place d’une incitation financière (de l’ordre de 30€ comme le pratique la MSA-Mutuelle sociale agricole) pour les inciter à réaliser un bilan de santé. »
Maintenir et/ou développer des leviers d’attractivité
Enfin, pour tenter de remédier à la crise de confiance d’une grande partie des jeunes vis-à-vis de la politique, les élus devraient favoriser la prise de responsabilités par les jeunes. Comment ? En les impliquant davantage dans les conseils municipaux, conseils de développement ou conseils d’administration d’associations ou de missions locales. Convaincus que le renouvellement des responsables politiques du milieu rural peut également jouer sur ce désamour (lire encadré), les rapporteurs proposent d’expérimenter une idée pour le moins originale : mettre en place une bonification de crédits, par exemple de la dotation de solidarité rurale, pour les communes dont le conseil municipal comporte une proportion significative de jeunes de moins de 30 ans.
De l’information sur l’orientation ou la prévention sanitaire au soutien à l’entrepreneuriat en passant par l’implication dans la vie associative et politique, cet avis du CESE regorge donc de propositions pour répondre aux besoins et aspirations des jeunes des zones rurales. Il convient également de leur « offrir de nouvelles opportunités » selon les deux rapporteurs, pour qui il appartient toutefois aux pouvoirs publics de faire le premier pas. Seul le maintien et le développement d’une « activité économique, sociale et culturelle dense » permettra aux jeunes nés dans des zones rurales de rester et/ou à d’autres de s’y installer.
Les jeunes ruraux sont-ils des électeurs FN ?
« Oui, bien sûr, une part des jeunes habitant les zones rurales vote Front National. Ils sont encore plus nombreux à s’abstenir, ou à ne pas être inscrits sur les listes électorales. Mais, faute de données plus fines que celles de la pyramide des âges ou des catégories socio-professionnelles, rien ne permet d’affirmer que cette proportion est plus importante que pour les jeunes urbains. » Par ces mots choisis et pesés, le co-rapporteur de l’avis du CESE, Bertrand Coly, se refuse de confirmer les supputations du gouvernement sur les préférences électorales des jeunes ruraux. Du propre aveu de cet éducateur spécialisé, ancien secrétaire général du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), seuls quelques indices permettent de renseigner la perte de confiance des jeunes ruraux envers les élites politiques. Par exemple, le fait qu’ils ne sont plus que 38% à avoir encore confiance envers le Parlement, contre 64% en 1990 – un chiffre qui est resté stable chez les jeunes urbains.
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