Dialogue sur la radicalité entre le Grand Rabin de France et l’évêque Pierre Debergé

Organisée par les élèves de la Formation aux concours d’entrée à Sciences Po, dont deux d’entre eux originaires du Lot, la conférence intitulée « Radicalités » a fait salle comble, le 20 mars dernier, soit plus de 250 personnes réunies à l’Espace Père Ceyrac du lycée Bossuet de Brive, en présence du préfet, du président du Département et du maire de la ville, notamment.

Deux grandes pointures à la tribune, pour un sujet de premier plan : Haïm Korsia Grand rabbin de France, Secrétaire Général du Souvenir Français et Mgr Pierre Debergé, directeur du Centre universitaire Guilhem de Gellone à Montpellier, membre de la Commission Biblique Pontificale.

Ce terme de « radicalités » aux facettes multiples et aux enjeux parfois insaisissables occupe tous les champs de la société et l’espace médiatique, lieu de résonance des inquiétudes et des interrogations. De par le choix des intervenants, la dimension interreligieuse de ce débat et l’échange de points de vue promettait de bousculer les idées reçues, questionner les liens complexes qu’entretiennent radicalité, religion et République. La soirée s’annonçait passionnante ; elle toucha à l’essentiel !

C’est le Grand rabbin de France qui ouvrit le feu avec une première intervention portant sur l’approche des différents types de « radicalités » ; état de ce qui est extrême, qui ne tolère par l’exception ; vision absolutiste, débouchant sur le fondamentalisme, y compris religieux ! Or, la « radicalité » des textes bibliques ne peut pas faire l’économie d’une exégèse, si l’on ne veut pas s’enfoncer dans l’aveuglement de la radicalité.

Les deux facettes de la radicalité

« Le danger de la radicalité, c’est l’absence de doute ; sans le doute, il y a danger permanent ! » s’exclame Haïm Korsia. Et le Grand rabbin de prononcer cette phrase anthologique : « Si tu n’as pas de doute, tu ne peux pas être ouvert à l’idée de Dieu ». En cela le doute revêt un caractère déterminant, nous donnant la capacité à prévenir nos limites et accepter la part de vérité de l’autre. « Nous sommes invités en permanence à sortir de la radicalité de nos positions » assène-t-il à l’assemblée, laquelle manifeste à maintes reprises sa réceptivité du message. Évoquant le vivre ensemble au sein de la République, le Grand rabbin insiste sur le principe d’unité qui impose la diversité et la nécessité de trouver dans bien des cas, le chemin médian.

Pour autant, ne parle-t-on pas de la « radicalité de l’amour », de l’inconditionnalité de l’amour. « Quel effet cela vous ferait-il si la veille de votre mariage votre fiancée vous confiait éprouver pour vous un amour « médian » ? » lance Haïm Korsia, à l’assemblée amusée. Autre écho particulièrement évocateur de la radicalité, au regard du prix payé par les Résistants durant la Deuxième guerre mondiale : « La radicalité de quelques-uns a parfois sauvé ce que nous sommes ! » déclarait le Grand rabbin.

« Oui la radicalité est un mot polysémique, avec un absolu positif et aussi un absolu totalitaire ! » renchérit Pierre Debergé. La radicalité relève donc d’une interprétation. Et le prélat de sa Sainteté d’inviter à une lecture des textes bibliques, sans se départir du contexte historique dans lequel ils ont été écrits. Le même texte, selon l’interprétation qui en est faite, selon qu’il est compris ou non en référence à ses origines, peut conduire à des conclusions opposées. « Le texte auquel je me réfère ne m’appartient pas ! » insiste-t-il. Mgr Debergé en profite pour décocher quelques flèches à l’encontre sans les nommer de catholiques traditionalistes, qui se réfèrent à des textes anciens, comme si les rîtes d’alors représentaient une fin en soi. Mgr Debergé met en garde contre le risque de l’idolâtrie, alors qu’il conviendrait de se nourrir de la dimension dérangeante et itinérante du texte. « Le chemin spirituel est un parcours de dépossession, de doute ! » souligne-t-il.

Cultiver le dialogue et ne pas se substituer aux institutions démocratiques ; une ligne de conduite que prônent les deux hommes. L’accueil de l’altérité se place au centre de la lutte contre la radicalité.

Angela Merkel invitée d’Oradour-sur-Glane

Après les événements du Bataclan qui ont fait 130 morts le 13 septembre 2015 à Paris, la France est entrée dans l’état d’urgence, « parce qu’on s’est mis à penser que tout le monde pouvait être frappé, et pas seulement des journalistes (Charlie hebdo) et pas seulement des juifs ou des policiers (attentats de Toulouse et de Paris) », observe Haïm Korsia, relevant par ailleurs une baisse du nombre des actes de nature antisémite.

« Tout pourra changer en commençant au niveau individuel et sans attendre que les décisions viennent d’en haut ! » reprend Pierre Debergé. À ses yeux, le dialogue interreligieux apparaît comme essentiel dans la construction du vivre ensemble. « Il y a radicalité lorsqu’on voudrait faire de ce que l’on pense une loi pour tous ! » poursuit-il. Avancer ensemble, chacun avec ce qu’il est, sans se renier, et dans une corresponsabilité. Et Haïm Korsia d’ajouter : « Aucun autre dessin autre que la paix, ne peut satisfaire le désir du monde ! » Ajoutant : « C’est l’imperfection d’une situation qui permet sa perfectibilité ! »

Les deux hommes abordent la question des relations israélo-palestiniennes en réponse à deux questions de l’assemblée. Et leur raisonnement arrive à cette conclusion commune : la paix ne se fera entre Israéliens et Palestiniens que si le dialogue peut s’établir entre eux, sans intervention extérieure.

Prenant l’image des grandes rencontres historiques, entre les représentants de nations un temps donné ennemies, telles de Gaulle – Adenauer, Mitterrand – Helmut Kohl, le Grand rabbin de France a vendu la mèche en annonçant, les yeux tournés vers le maire d’Oradour-sur-Glane, l’invitation adressée à Angela Merkel, à venir présider le 75e anniversaire du massacre du 10 juin 1944, faisant périr 642 hommes, femmes et enfants. Faire le premier pas, commencer au plus petit niveau, à l’école, en famille, pour cultiver le sentiment d’appartenance à la société où nous sommes appelés à entretenir le vivre ensemble. Faire le premier pas… !

J-C Bonnemère La Vie Quercynoise