Du chanvre au textile, le défi de VirgoCoop
Les aventures naissantes sont souvent l’histoire de rencontres. Un premier contact avec un inconnu, un discours, des opinions qui se rejoignent pour, finalement, se lancer dans le grand bain. Les projets d’envergure n’effraient pas Mathieu Ebbesen-Goudin. Ses dix années de travail dans l’humanitaire peuvent en attester. Une fois rentré dans l’Hexagone, il s’installe, avec son épouse et ses enfants, en pleine campagne lotoise. À Cabrerets, il investit un havre de paix en plein milieu de la forêt sur les hauteurs du village, à une petite dizaine de kilomètres de Saint-Cirq-Lapopie, classé parmi les Plus beaux villages de France. Un coin comme il en existe des milliers dans nos contrées, loin du tumulte des grandes villes, où l’on trouve la sérénité nécessaire pour se lancer.
C’est donc là qu’il décide de tisser sa toile. Le trentenaire rembobine le cours de l’histoire. « Nous sommes en 2016. Je voulais faire quelque chose qui avait du sens et qui pourrait servir le territoire. Assez vite, le chanvre s’impose, lui qui a une histoire particulière avec le Lot. » Au départ, la plante est plutôt destinée à l’isolation pour de l’écoconstruction. « Nous sommes allés visiter une usine spécialisée en Vendée.Mais tout était gigantesque, ça nous a paru en décalage avec nos moyens de prendre ce chemin », explique simplement l’entrepreneur. Une entrevue va complètement modifier le projet originel. « Pierre Amadieu, originaire de Lacapelle-Marival, nous suggère plutôt d’aller dans le textile.Dans ce secteur, tout est à faire, a créé », se souvient Mathieu Ebbesen-Goudet.
Du chanvre de la tête aux chevilles
L’idée le séduit.D’abord d’avoir à imaginer de A à Z une démarche de production. Ensuite, grâce aux capacités de la matière à promouvoir. Le chanvre fournit en effet des fibres de haute qualité qui permettent des tissus durables. « La plante possède aussi des vertus thermorégulatrices naturelles, complète Mathieu Ebbesen-Gouden.En clair, l’été, on n’a pas chaud et l’hiver, elle préserve du froid », image l’entrepreneur.
Reste à trouver la matière première. Là, les premières difficultés apparaissent.Car il n’y a pas de production locale. « Et pourtant, on a un certain héritage en France de cette culture. La Canebière à Marseille, les lieux-dits Canabal ou Canaval dont de nombreux peuplent nos campagnes, tout cela vient du chanvre ! Mais on l’a complètement abandonné avec l’invention de la machine à vapeur, en pleine révolution industrielle. »
Ce manque de produit au niveau régional n’est pas une fatalité.Au contraire, c’est même un autre chapitre de l’aventure VirgoCoop : relancer la production occitane. L’homme prospecte d’abord à l’étranger et parvient finalement à nourrir son ambition en Europe de l’est. Il fait l’acquisition d’un chanvre roumain, l’une des seules étapes effectuées en dehors des frontières de notre région. Mathieu Ebbesen-Goudin profite, pour poursuivre son dessein, de l’implantation d’entreprises spécialisées dans la transformation du textile dans le bassin tarnais. La teinture est effectuée chez l’entreprise Plo, à Mazamet (Tarn). L’étape suivante, le tissage du chanvre, ne nécessite pas un grand trajet. À quelques kilomètres de là, c’est Éric Carlier du Passe-Trame (voir MiDi du 7 février 2021) qui s’est montré intéressé. « Il s’est dit prêt à faire un tissu pour jean 100 % chanvre. Tout s’est fait petit à petit. » Lorsqu’il nous reçoit, le Lotois a revêtu veste, pantalon et chaussettes en chanvre. Au toucher, ce qui marque, c’est la douceur de la matière.En quand on enfile un par-dessus en chanvre, on se sent tout de suite à l’aise et chaud.
La coopérative lancée en 2018
La mayonnaise prend plutôt rapidement. Nouveau hasard, quelques mois plus tard. « Nous sommes en vacances avec ma famille en Ardèche et nous décidons de faire un détour à Florac, en Lozère, pour visiter l’atelier Tuffery.Nous avions évidemment avec nous du chanvre, retrace malicieusement le Lotois. Là encore, Julien Tuffery dit banco. » La machine est lancée.
En 2018, la coopérative VirgoCoop est ainsi fondée, son siège social implanté en centre-ville de Cahors.Elle vise d’un côté à vendre du chanvre pour la fabrication de vêtements soit 100 % chanvre, soit 50 % chanvre et 50 % coton et, de l’autre, appuyer le redémarrage de l’économie et de l’agriculture autour de cette activité. Le chemin n’est pas encore totalement tracé, mais les embûches sont, l’une après l’autre, écartées. La société Hemp-Act, qui vise à développer des technologies textiles et chanvrières innovantes, est créée avec Pierre Amadieu, à Lacapelle-Marival. Au départ de Cahors et en passant par Cabrerets, il y a à peine 75 km à parcourir pour s’y rendre.
Lorsqu’une occasion se présente, VirgoCoop n’hésite plus à investir.C’était le cas en début d’année 2021. « L’usine de tissage Pistre, à Saint-Affrique à côté de Castres (Tarn), était proche de la fermeture. Nous trouvions dommage de perdre un savoir-faire dans la région, déplore Mathieu Ebbesen. Alors nous avons racheté cet atelier de tissage avec Tuffery et Éric Carlier, sous la bannière Tissages d’Autan et avec l’aide du Pass’Relance de la région Occitanie. »
L’autre (et dernier) passage à l’étranger est nécessité par la filature des fibres longues, « une technique qui n’est pas du coin et que l’on fait faire en Pologne », avoue celui qui se définit comme la « cheville ouvrière » de VirgoCoop.
Rendement « quasiment assuré »
En parallèle de cette filière industrielle, la coopérative lotoise a avant tout pour objectif de refaire pousser du chanvre en Occitanie. Cette partie, c’est l’œuvre de Julien Bonnet.Ingénieur agronome dans une grande entreprise durant une petite quinzaine d’années, il a décidé de rejoindre l’aventure il y a deux ans. « Ça a été une entente complète avec Mathieu, que ce soit au niveau des valeurs professionnelles comme personnelles, explique-t-il humblement. Nous voulons changer les choses dans l’agriculture, sans autant vouloir donner des leçons. » C’est lui qui est chargé de faire le lien avec les agriculteurs sur le terrain, ceux qui ont relevé le pari de refaire pousser la plante dans leurs champs. « Il faut dire que leur risque est limité puisque nous leur sollicitons deux hectares maximum et le rendement est quasiment assuré. » Dans les champs, ce « Cannabis Sativa » détonne forcément de ce que l’on a l’habitude de voir. Mais pas besoin d’appeler la gendarmerie, tout cela reste légal ! (voir encadré)
En 2021, une trentaine de paysans de toute la région a fait pousser du chanvre sur l’une de ses parcelles. Du nord-est de la Lozère jusqu’à une ligne qui joint Agen (Lot-et-Garonne) à Auch (Gers), avec seulement deux hectares pour chaque producteur.Au total, 75 hectares ont été récoltés en 2021, contre seulement trois hectares l’année précédente.
« Quasiment tous les agriculteurs que nous avons sollicités vont vouloir repartir !, savoure Julien Bonnet. C’est une culture qui peut, en plus, leur faire passer plus facilement le cap vers l’agriculture biologique. Mais il ne faut pas croire que cultiver du chanvre est si simple.Les techniques sont poussées et il faut que le sol soit bien préparé. C’est une autre de nos objectifs : sans être moralisateur, faire réfléchir les agriculteurs sur leurs pratiques, leur faire comprendre la portée de ce qu’ils font au quotidien. » Et, pour éviter d’épuiser la terre, faire adopter une rotation de cinq années avant de réutiliser ces parcelles pour la culture chanvrière. Produire mieux, de façon durable et locale tout en respectant la nature ; un défi relevé avec succès par VirgoCoop.
Pas de THC
Le chanvre est la plante qui produit aussi du cannabis. « Ça a desservi l’image du chanvre textile, déplore Mathieu Ebbesen-Goudin.Mais ce n’est absolument pas le même produit, rassurez-vous ! Il y a un cahier des charges très strict pour le chanvre textile, il doit comporter moins de 0,2 %de THC », soit la substance active du psychotrope. « Ne pensez pas fumer la plante, ça ne sert à rien ! »
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