Éternel Léo Ferré

« Longtemps, longtemps, longtemps. Après que les poètes ont disparu.

Leurs chansons courent encore dans les rues »

« Le poète d’aujourd’hui doit être d’une caste, d’un parti ou du tout Paris ». Ce cri – qui n’a pas la rosette – cette parole de prophète, Léo Ferré l’écrit en 1957 en préface du recueil de poésies « Poètes vos papiers » Léo Ferré n’a jamais été dans aucun de ces clubs qui font les renommées et statuts officiels.  

Mais il est tout simplement le plus grand poète francophone du XXe siècle dont le génie a de multiples facettes. Tout d’abord le chanteur au répertoire apprécié et reconnu, chanteur à texte qui écrit paroles et musiques, dont les chansons interpellent et ne sont pas de simples occasions de danser.   

Dès les années 1960, il crée ce que l’on qualifiera par la suite de Protest Song lorsque par la suite Dylan, Baez et consorts lanceront ce mouvement aux États-Unis. Trop sensuelles ou trop contestataires, nombre de ses chansons sont interdites à la radio.   

Il prendra une tout autre dimension après 1968. Grâce à l’amour de Marie Christine. Il se « decollierise ». Il devient à plus de 50 piges l’idole d’une jeunesse révoltée et assoiffée de liberté. Il brise tous les tabous, ne se fait plus enfermer dans le carcan de chansons qui ne doivent pas dépasser 3 minutes pour être programmées à la radio, devient le précurseur du slam et du rap, se fait accompagner par un groupe de pop musique et transforme ses spectacles en meeting.

« Amour/Anarchie », la jeunesse post-68 adhère pleinement à ce slogan.   

Pour lui, l’anarchie c’est non pas la violence, mais la liberté et le respect des choix de chacun « N’oublie jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres. »  

Avec le temps est considérée par beaucoup comme la plus belle chanson française. Elle ne saurait masquer le reste de son œuvre mêlant revendications politiques, romantisme, érotisme et amour courtois.    Outre ses textes sublimes, Ferré met également en musique, les poètes maudits, ses compagnons de révolte, Rutebeuf, Baudelaire, Apollinaire et Aragon ou Verlaine et Rimbaud, dont il vante l’amour à une époque où l’homosexualité est pénalisée. Il va diriger les orchestres symphoniques pour le plus grand bonheur du public. Il rend poésie et musique classique accessibles à tous, brisant le monopole des élites, bousculant les bien pensants.  

« Ni dieu ni maître » Ferré a toujours été debout, n’a jamais transigé avec les pouvoirs (politiques, du Show bizz ou autres). Récusant toute compromission, il a fait une immense carrière grâce à son génie.   

Son caractère incontrôlable et hors-norme explique pourquoi il n’a pas la reconnaissance officielle qu’il mérite. Pourquoi, alors qu’il a magnifié Paris comme aucun autre poète, n’a-t-il toujours pas un espace public digne de ce nom à Paname et pourquoi le ministère de la Culture, 30 ans après sa disparition, ne lui a toujours pas rendu l’hommage qui aurait dû s’imposer ?  

Son œuvre est toujours là. Elle fait le bonheur jouissif de ceux qui la connaissent. Elle fera celui de ceux qui vont le découvrir. Il révoque le microbe de la connerie et promet « Nous aurons tout ! Dans 10 000 ans » 

Pascal BONIFACE Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (I.R.I.S.).