Exode urbain – un mythe, des réalités

En complément du sujet sur les nouveaux arrivants dans le Lot, je vous propose la lecture des grandes lignes d’une vaste étude pluridisciplinaire. sur « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles ».

Le Monde d’avant ressemble très fortement au monde d’après  c’est-à-dire principalement structurée autour des pôles urbains, qui concentrent emplois, services, structures éducatives, ainsi qu’une grande partie de la population française.
On imaginait un départ massif des villes vers les campagnes; il n’en est rien. La pandémie a plutôt  accéléré les départs des grandes villes vers … des villes (un peu) plus petites, et des couronnes périurbaines,

Les média ont eu tendance à construire une image binaire des « exodeurs » Ce serait des ménages de classe supérieure, dotés d’un fort capital socioculturel et économiques qui s’inscrivent dans des démarches multirésidentielles,  ou bien il s’agirait de ménages qui « ont quitté la ville » pour un changement de vie, changement imaginé comme « transition rurale ».

Ainsi, si les départs des grandes villes sont bien en augmentation, les Français qui les quittent se dirigent vers quatre types de territoires :

  • les couronnes périurbaines, principalement dans les espaces pavillonnaires
  • les villes petites et moyennes,
  • les littoraux – en particulier la façade atlantique – champions de l’attractivité résidentielle comme ils l’ont toujours été.
  • et, enfin, certains territoires ruraux qui attiraient aussi déjà depuis la fin des années 70.

Si l’on se penche sur les territoires ruraux on remarque qu’ils ne sont pas concernés de la même manière. Les ménages déménagent vers des territoires proches des centres urbains – ce sont les « campagnes urbaines » et vers  des territoires qui bénéficient d’intérêts  spécifiques  comme l’accessibilité, un climat, une dynamique économique locale favorable,

Les profils

Les enquêtes de terrain menées auprès de ménages qui ont quitté les centres urbains depuis le début de la pandémie témoignent d’une grande diversité de profils, de stratégies, de modes de vie et d’engagement : il n’y a pas de portrait-robot, d’un « exodeur », mais bien une myriade de ménages,

Les retraités et pré-retraités :  toujours nombreux à quitter les centres urbains  

Le retours au pays après une vie professionnelle en ville ; les personnes extérieures au territoire, en quête d’un cadre de vie de qualité (soleil, verdure, mer) et qui connaissent souvent la région pour y avoir passé des vacances.

Les (pré)retraités constituent une importante composante de la dynamique démographique dans les espaces traditionnels de villégiature. Par conséquence, ce type de territoire est marqué par une forte tension sur le marché du logement, accentuée par l’accroissement de la bi-résidentialité et de l’offre locative touristique, qui conduisent à un déficit de logements pour les résidents à l’année. La saisonnalité de leur présence induit aussi des difficultés à maintenir une offre de services continue.

Cette catégorie de population est attentive à l’offre médicale et paramédicale (la présence de la pharmacie est cruciale), à l’accessibilité pour ses déplacements (les routes de moyenne montagne étroites et à virages peuvent poser problème l’âge avançant) mais aussi dans la perspective de l’accueil des petits-enfants pendant les vacances scolaires. Nombreux, ils s’insèrent dans le tissu local et peuvent former des groupes mobilisés pour la défense de leur cadre de vie.

Les ménages de profession intermédiaire et classes populaires stables : eux allongent leurs navettes quotidiennes grâce au télétravail et s’installent dans les couronnes périurbaines éloignées et non dans les petites villes et villages.

Les cadres supérieurs et professionnels qualifiés avec enfants, alliant grande mobilité et télétravail

Ils sont loin d’être la majorité des cas dans les territoires d’étude. Alliant grande mobilité et télétravail, l ’un des deux membres du ménage conserve souvent son poste métropolitain et alterne télétravail et navettes de longue distance régulières, tandis que l’autre travaille à domicile. Ce type peut s’étendre aux ménages de même profil sociologique qui conservent leur résidence principale dans une métropole mais investissent à la campagne dans un bien immobilier « multifonction » : résidence secondaire, lieu de reconfinement possible ou permettant la mise en place d’une multi-résidence (semaine partagée entre la ville et la campagne) à la faveur d’un télétravail partiel. Ce bien « multifonction » représente aussi un investissement sûr pour ces ménages : potentiellement rentabilisable par les locations saisonnières ou ponctuelles facilitées par les plateformes en ligne, le bien prendra probablement de la valeur dans le contexte du réchauffement climatique. Ce profil correspond à des ménages relativement aisés et de plus de 40 ans. Cela concerne essentiellement les littoraux, les territoires ruraux desservis par le TGV ou une ligne de TER connectée à une gare TGV, mais aussi les espaces à haute qualité paysagère : principalement, donc, des territoires déjà attractifs avant le début de la pandémie Les métropoles conservent leur rôle sructurant dans le territoire aussi


« Être les pieds dans la terre » : une recrudescence de familles de diplômés alliant télétravail et reconversion professionnelle. Ce sont  des ménages généralement diplômés, alliant télétravail et projet de reconversion professionnelle plus ou moins alternatif. Ces reconversions concernent des projets d’autoentreprise de service (consultant, coaching personnel, bien-être etc.), d’artisanat (bijouterie, menuiserie, boulangerie, etc.), de maraîchage ou de cultures à haute valeur ajoutée (plantes aromatiques par exemple).

Ces profils ont pour particularité de passer l’essentiel de leur temps, de résidence comme de travail, dans le territoire d’installation. Parfois très diplômés, et passés par des grandes agglomérations pour leurs études et le début de leur vie active, ils ont souvent des origines rurales et montrent de fortes préoccupations écologiques, qui peuvent les conduire à un fonctionnement en réseau (lieux d’approvisionnement, canaux institutionnels de soutien aux travaux ou aux activités professionnelles, réseaux sociaux plus ou moins militants…). Ils alimentent en même temps un imaginaire de « transition rurale » par leur présence, leurs pratiques écologiques en matière d’habitat, mais aussi par leurs projets professionnels et leur investissement multiforme dans le territoire (cafés associatifs, épiceries coopératives, offre culturelle, réseaux militants et/ou festifs, etc.).

Sous les radars » : marginaux et population à la précarité plus ou moins choisie en quête d’un mode de vie alternatif

Ces profils moins médiatisés, rencontrés dans les territoires où il est possible de vivre de peu grâce à la solidarité locale, la débrouille et l’autosuffisance : des ménages en situation de précarité, plus ou moins choisie. Pour certains, c’est la combinaison des conditions de (sur)vie dans les grandes métropoles (difficulté d’accès au logement et à l’emploi) et de la montée en puissance de la problématique de l’effondrement qui les pousse à choisir une forme de marginalité. Ils cherchent alors des formes d’autonomie dans une économie de survie : autonomie énergétique, alimentaire, en eau… D’où la recherche de territoires non seulement structurés par des liens d’entraide, mais aussi relativement cachés, à l’écart des axes de communication, et dotés de ressources naturelles (cours d’eau, terres cultivables, fruitiers), où peuvent se développer des formes d’habitat léger (auto-construction, « tiny houses », voire yourtes ou camions). Mobiles et méfiants, ils sont difficiles à quantifier, mais leur nombre aurait augmenté depuis le confinement, d’après les acteurs locaux. Pour d’autres, il s’agit d’une marginalisation davantage subie (mais il existe un continuum), correspondant à une éviction de longue durée du marché du travail et du marché du logement, conduisant à des formes de « cabanisation » : habitat en vieille caravane dans un terrain agricole isolé, ou en camion (souvent des hommes jeunes, seuls, et instabilité – voir le turnover dans certaines vallées cévenoles). Ces derniers profils semblent rester quantitativement assez peu nombreux et concentrés dans les régions méridionales non littorales.