Floirac: Principes et problématiques liées à la méthanisation
L’Association pour l’animation et la sauvegarde du patrimoine et du cadre de vie de Floirac invite les habitants de Floirac et des environs, à une conférence, vendredi 11 mai à 20 h 30 au Cantou, donnée par Michel Kaemmerer, docteur d’Etat en sciences du sol, professeur à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSA), avec la participation de Michel Lorblanchet, préhistorien (directeur de recherches honoraire au CNRS) et de Jean-Louis Thocaven, spéléologue.
L’objectif de cette conférence est de présenter le principe de la méthanisation, le fonctionnement du méthaniseur de Gramat, et d’examiner toutes les problématiques liées à la méthanisation et notamment les conséquences de l’épandage des digestats en zone karstique. Une présentation, qui se veut pédagogique, précédera cette conférence, afin d’éclaircir certains points de ce sujet sensible et d’actualité.
L’entrée est libre et gratuite.
Dans une tribune au « Monde », des préhistoriens et des paléontologues s’inquiètent de l’impact de l’élimination de lisiers issus d’activités de méthanisation sur le patrimoine souterrain de ces zones calcaires.
Tribune. Un gros méthaniseur industriel, qui va traiter 67 000 tonnes de déchets par an, vient de s’installer à Gramat (Lot). Ces déchets proviendront de cinq départements dans un rayon de 130 kilomètres. Ils comprendront des déchets d’abattoirs, de stations d’épuration des villes, de restauration collective, d’élevages industriels, de laiteries, etc.
En cas d’épidémie de grippe aviaire, ce méthaniseur est envisagé comme moyen d’élimination des lisiers contaminés. Ces différents intrants contiennent des matières polluantes (métaux lourds, PCB, perturbateurs endocriniens, germes, pesticides, biocides, antibiotiques, éléments minéraux et organiques divers dont l’azote et le phosphore). Un méthaniseur industriel plus petit se développe aussi sur le causse de Martel à Mayrac, qui traitera 15 000 tonnes de déchets par an, et quatre autres projets sont en construction dans la région.
Les digestats s’infiltrent immédiatement dans les sols et sous-sols
Ces installations produiront du méthane, de l’électricité et un sous-produit, le digestat brut liquide, présenté comme un « fertilisant », qui sera épandu sur 6 000 hectares au cœur du parc naturel des causses du Quercy et 800 hectares du causse de Martel. Rappelons que tout ce qui entre dans le méthaniseur se retrouve en sortie dans le digestat, même si une hygiénisation incomplète est effectuée. Les digestats s’infiltrent immédiatement dans les sols et sous-sols.
La région calcaire des causses est un milieu particulièrement vulnérable déjà victime des épandages du lisier des élevages industriels, qui provoquent l’expansion extraordinaire de la végétation aquatique dans le lit de la Dordogne, du Célé et de leurs affluents ainsi que des pollutions d’eau potable enregistrées notamment à Cahors au printemps 2017. Une opposition citoyenne locale s’organise.
Nous, préhistoriens et paléontologues, voulons aussi attirer l’attention des pouvoirs publics sur le risque de pollution des couches archéologiques et des gisements préhistoriques qui abondent dans cette région calcaire. Plusieurs d’entre eux, comme la grotte ornée des Merveilles et la grotte de Sirogne (Rocamadour), le site mésolithique du Cuzoul de Gramat, le site moustérien du Mas Viel, la grotte de Pradayrol (Caniac-du-Causse) qui a fourni les vestiges parmi les plus anciens de France et de la région, se trouvent au milieu ou à proximité immédiate des zones d’épandage.
La plupart des gisements préhistoriques et paléontologiques sont situés près de la surface des causses et sont particulièrement vulnérables
Disposons-nous des informations scientifiques suffisantes pour affirmer qu’ils ne risquent rien dans l’immédiat ou dans le futur ? De nombreux avens-pièges contenant des vestiges d’animaux disparus, permettant aux paléontologues de reconstituer l’histoire de la région et de son environnement, se trouvent également au cœur des épandages. Quelle garantie avons-nous qu’ils seront indemnes de toute pollution ?
La plupart des gisements préhistoriques et paléontologiques sont situés près de la surface des causses et sont particulièrement vulnérables. Nous nous interrogeons sur l’impact des infiltrations des produits chimiques, organiques et minéraux apportés par les digestats dans les gisements et l’impact des ruissellements d’eau polluée qui peuvent s’ensuivre sur les parois des grottes ornées. Ces grottes renferment aussi des sédiments contenant des vestiges archéologiques qui doivent être protégés au même titre que les parois.
Plusieurs autres questions se posent. Toutes les grottes ornées sont classées monuments historiques. Leur « périmètre de protection » prévu par la loi est-il toujours respecté ? Suffit-il à garantir leur protection définitive contre les épandages de digestats ? Quelle pertinence peut avoir la notion théorique de « périmètre de protection » dans un milieu karstique, si ce périmètre est fixé de façon arbitraire à 500 mètres et s’il n’est pas déterminé au cas par cas par une étude d’impact préalable de chaque secteur d’épandage, prenant en compte toutes les données géologiques, hydrogéologiques, spéléologiques et archéologiques ?
La grotte ornée de Roucadour
Ainsi, pour la grotte ornée de Roucadour (propriété de l’Etat) riche de 500 figurations pariétales, est-il certain qu’elle soit hors d’atteinte des nuisances des épandages qui seront effectués à un kilomètre d’elle ? On ignore également quels seront les impacts des infiltrations sur les multiples analyses physico-chimiques réalisées sur les gisements (datations radioactives de charbons et ossements absorbant l’humidité ambiante, datations de calcites et concrétions, analyses polliniques des sédiments, recherche d’ADN préhistorique, etc.).
Nous n’avons actuellement pas les éléments scientifiques et objectifs de réponse à toutes ces questions. C’est en qualité de citoyens et de scientifiques conscients des dangers qui menacent la protection de notre patrimoine des causses du Quercy que nous nous adressons aux ministres de la culture, de la recherche et de l’environnement, afin qu’ils interviennent pour protéger ce patrimoine et éviter les conséquences irrémédiables qui peuvent découler de la situation actuelle.
Jean-Christophe Castel (Muséum d’histoire naturelle de Genève), Brigitte Delluc (Musée de l’homme), Gilles Delluc (Musée de l’homme), Pierre-Yves Demars (CNRS), Mathieu Langlais (CNRS), Jean-Marie Le Tensorer (université de Bâle), Michel Lorblanchet (CNRS), Michel Philippe (Musée des Confluences), Pierre-Jean Texier (CNRS).
Le Monde 30-4-2018