Impact des « Fake news » dans les territoires
Alors qu’il existe déjà des textes de loi réprimant la diffusion de fausses nouvelles, pourquoi faudrait-il renforcer l’arsenal juridique contre les « fake news » ?
Ces « informations » qui n’en sont pas ne frappent pas que les grandes figures politiques nationales, elles circulent aussi dans les territoires, visant parfois nommément les maires…
« Nous avons considéré que toutes les paroles pouvaient se valoir et que la régulation était forcément suspecte d’un choix. Or, ce n’est pas le cas, toutes les paroles ne se valent pas et des plateformes, des fils Twitter, des sites entiers inventent des rumeurs et des fausses nouvelles qui prennent rang aux côtés des vraies », déplorait Emmanuel Macron.
Avant l’avènement des réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, on parlait plutôt de « rumeur ». En 2013, plusieurs élus en régions en étaient d’ailleurs victimes, à l’image de Benoist Apparu, maire de Châlons-en-Champagne.
La rumeur du transfert des habitants du 9-3
« Cela a commencé dès 2010-2011, alors que j’étais au gouvernement, explique l’édile. Il se racontait que je faisais venir dans ma ville des trains entiers de personnes originaires de Seine-Saint-Denis contre de l’argent. Le fait que je sois à Paris ‘crédibilisait’ en quelque sorte cette légende urbaine ». Au départ, Benoist Apparu n’y prête pas attention : « je me disais que d’en parler publiquement ne ferait que donner corps à ces mensonges ». Pourtant aujourd’hui, avec le recul, il l’assure : « en me taisant, j’ai fait une grosse connerie ! »
En effet, au fil des mois, des années, la rumeur ne fait que se renforcer. À l’approche de la campagne des municipales de 2014, elle atteint même une « puissance incroyable ». « A l’été 2013, je ne pouvais plus faire un pas dans la rue, sans que l’on m’en parle ! Je rageais intérieurement face des gens qui m’assénaient leurs certitudes absolues et qui me brandissaient même des chiffres : ‘un train de 600 personnes, un autre de 800’ » raconte le maire. Il décide alors de porter plainte pour couper court à cette rumeur poisseuse, qui l’accusait au passage d’empocher personnellement les deniers du conseil général de Seine-Saint-Denis. Au final, la plainte du maire de Châlons-en-Champagne n’aboutira sur rien de concret. « En fait, c’était surtout symbolique » corrige-t-il.
Saisir un juge en référé, la solution ?
Selon les premiers éléments connus, la future loi anti « fake news » permettrait de saisir un juge en urgence afin de faire retirer les contenus jugés faux des plateformes numériques de diffusion, mais aussi « de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet » selon les voeux présidentiels. « Cela me paraît compliqué de faire retirer en référé les 300 000 tweets qui reprennent la fake news ; en revanche, là où c’est intéressant, c’est de se dire qu’on aura une décision de justice pour dire que c’est faux… la qualification juridique sera aussi intéressante, car aujourd’hui c’est tellement facile de reprendre un tweet et d’alimenter la rumeur », analyse l’ancien ministre.
Cette loi, voulue par Emmanuel Macron, viserait également « en creux » des organes de presse tels que Spoutnik ou Russia Today, accusés d’être « des organes de propagande » par le Président. Mais pour Nicolas Vanderbiest, chercheur belge spécialiste des fake news et doctorant à l’Université Catholique de Louvain, ces sites relèvent davantage du « cadrage informationnel ». « Les faits qu’ils évoquent ont réellement eu lieu, mais ils vont leur apposer une espèce de lunette afin de démontrer quelque chose. Il s’agit plus d’une certaine vision du monde qui s’inscrit dans la liberté d’opinion ». Ces sites ne seront concernés par la future loi que s’ils venaient eux-mêmes à relayer des fake news, explique donc Nicolas Vanderbiest.
« Une manière de tourner les phrases… »
L’information locale serait-elle aussi pervertie par certains médias ? En Bretagne, dans la commune déléguée de Langourla (900 habitants, commune nouvelle Le Menée), le maire Michel Ulmer est justement depuis quelques semaines la cible d’un site très orienté, Breizh Infos. La future installation de migrants dans l’ancienne maison de retraite du village semble obséder les auteurs de ce site d’informations qui n’hésitent pas à venir tourner des « Facebook Live » lors des réunions publiques.
« Ce ne sont pas vraiment des fake news, explique le premier magistrat, mais c’est une manière de tourner les phrases qui pose problème. Par exemple, il est écrit que la situation est très tendue et que pour preuve j’ai demandé aux gendarmes d’être présents aux vœux… mais c’est une tradition d’inviter les gendarmes pour les vœux ! ».
Par l’entremise des réseaux sociaux et des « partages » numériques, les contenus de ce site breton se sont largement diffusés dans la commune. Résultat : des tracts haineux ont fait leur arrivée dans les boîtes aux lettres du village ainsi qu’une lettre de menaces adressée à Michel Ulmer. Bref : un pourrissement de la situation, empêchant un débat serein sur la question.
Halo d’audience
Pour Nicolas Vanderbiest, ces contenus clivants bénéficient de nos jours de l’aspect systémique des réseaux sociaux : « Ce type de contenus a davantage de chance d’émerger que d’autres, bien mieux sourcés mais ennuyeux. Qu’on les partage ou qu’on les critique, il se créée autour de ces articles une espèce de halo et donc une audience et une mise en valeur ». Bref, sauf à espérer obtenir la modification des algorithmes des plateformes de diffusion, les fausses nouvelles ou celles biaisées ont encore de beaux jours devant elles.
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