Invasion dans nos jardins : nouvelles révélations sur le ver plat mangeur de vers de terre
Obama nungara, l’espèce de ver plat terrestre la plus répandue en France, fait en ce moment l’objet d’une large étude scientifique pour déterminer quelles sont les proies réellement menacées par cette espèce dans les jardins français.. Les résultats ont été obtenus grâce aux données de la science participative et au séquençage des contenus digestifs du ver plat.
L’espèce, présente dans plus de 70 départements français, en Métropole et à la Réunion, est originaire d’Argentine. Elle a été signalée dans plusieurs pays d’Europe comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Belgique et le Royaume-Uni. Obama nungara est le plus souvent observé dans les jardins privés, où les individus, parfois très abondants (plus d’une centaine observée par jour) se cachent la journée sous les pots de fleurs, les sacs entreposés, les dalles ou les planches de bois des terrasses. Obama nungara est nocturne et il n’est pas rare de le croiser à la tombée de la nuit, se déplaçant et chassant activement.
Obama nungara, un chasseur redoutable
Obama nungara chasse ses proies en les repérant avec ses nombreux yeux, répartis en bandes de chaque côté de l’avant de son corps. Une fois la proie repérée et approchée, Obama nungara se déploie sur elle, bloque son avancée et la presse contre le sol en l’entourant avec tout son corps. Le pharynx, une partie du système digestif du ver plat, sort du corps et permet l’absorption de la proie, qui est alors digérée.
Les études scientifiques concernant le régime alimentaire d’Obama nungara ne sont pas nombreuses. Des expériences menées en laboratoire ont montré que l’espèce pouvait se nourrir d’escargots, de limaces, de vers de terre, et aussi de vers plats appartenant à d’autres espèces. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, aucune donnée n’avait été produite concernant le régime alimentaire d’Obama nungara dans la nature, et donc sur les proies consommées par cette espèce dans les jardins français.
Les vers de terre : une cible pour Obama nungara
Les vers de terre jouent un rôle primordial dans les fonctions du sol, en agissant sur la décomposition de la litière, le cycle des nutriments, la formation d’agrégats et la performance des plantes. Parce qu’ils participent activement au recyclage de la matière organique du sol, leur disparition sous l’effet d’une forte prédation par Obama nungara pourrait par exemple entraîner l’accumulation de grandes quantités de feuilles en surface, dégradant le sol et diminuant sa productivité.
Les vers de terre ont été répartis en trois catégories écologiques principales. Les espèces épigées vivent en surface et consomment de la matière organique de surface (feuilles et litière), les espèces endogées vivent en permanence en profondeur, creusent des galeries horizontales et se nourrissent de la matière organique contenue dans le sol, enfin, les espèces anéciques creusent des galeries verticales permanentes où elles enterrent les feuilles fraîches, et se nourrissent d’un mélange de matière organique de surface et du sol.
Dans un premier temps, nous avions fait l’hypothèse qu’Obama nungara se nourrissait préférentiellement sur des espèces qu’il rencontrait lors de ses chasses nocturnes, de façon opportuniste ou en suivant les traces laissées par ses proies. Et comme il évolue à la surface du sol, nous présumions que les espèces de vers de terre les plus impactées seraient celles vivant en surface ou y remontant régulièrement pour se nourrir. Les vers de terre anéciques et épigés nous semblaient donc plus vulnérables à la prédation par Obama nungara que les vers de terre endogés.
Le régime d’Obama nungara analysé par la biologie moléculaire
Pour identifier les vers de terre consommés par Obama nungara et vérifier cette hypothèse, nous avons choisi d’utiliser une technique de biologie moléculaire, qui permet d‘accéder à l’ADN présent dans les contenus digestifs des vers plats. La méthode utilisée a été le métabarcoding ADN.
Après extraction de l’ADN des contenus digestifs, le principe est d’amplifier un très petit fragment de gène, de le séquencer et de comparer les séquences obtenues à une base internationale de données génétiques. Dans cette base de données figurent toutes les séquences de vers de terre connues pour ce gène, associées au nom des espèces dont elles sont issues. Cela permet de mettre un nom sur les séquences obtenues à partir des contenus digestifs d’Obama nungara.
Nous avons séquencé les contenus digestifs de 26 Obama nungara, provenant de 15 jardins français. Ce sont les propriétaires de ces jardins, dans une démarche de science participative, qui nous ont envoyé les spécimens d’Obama nungara. Pour chaque ver plat étudié, nous avons retrouvé la signature moléculaire d’une à cinq espèces de vers de terre différentes consommées. Alors que nous nous attendions très majoritairement à trouver, parmi ces espèces, des vers de terre épigés et anéciques (vivant ou se nourrissant en surface), des espèces endogées (vivant en profondeur) ont régulièrement été identifiées dans les contenus digestifs d’Obama nungara.
Nos résultats montrent qu’Obama nungara se nourrit sur une grande diversité de vers de terre. Il est possible que sa technique de chasse soit plus élaborée que ce qui a été décrit jusqu’à maintenant, comme pénétrer dans les galeries des vers de terre, réussir à s’enfoncer dans le sol ou profiter des moments où la terre est retournée dans les jardins pour capturer des vers vivant dans les profondeurs. Les données obtenues à partir de la biologie moléculaire renforcent donc l’idée qu’Obama nungara, déjà considérée comme Espèce Exotique Envahissante, soit une menace avérée pour la biodiversité des sols français.
Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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