Journée internationale des droits des femmes : Julie Bossion, la passion de l’artisanat
Interview de Julie Bossion, ébéniste, dans la série de portraits de femmes inspirantes du figeacois.
> Medialot : quel est votre poste / métier actuel ?
Julie Bossion : je suis actuellement ébéniste au sein d’une entreprise de 5 personnes à Gramat. Mais je contribue également aux postes administratifs avec mon patron : devis, facturation… Je dessine les projets de meubles ou d’agencement, je contribue à les fabriquer à l’atelier, je les pose sur chantier. C’est la meilleure façon selon moi d’avoir un suivi global du projet puisque j’interviens à chaque phase du processus et c’est ce qui me plaît le plus dans mon métier.
> M. : quel est votre parcours personnel et professionnel ?
J.B. : j’ai eu un parcours très classique durant ma scolarité jusqu’au bac général ES que j’ai effectué en 2016, jusque-là tout s’est déroulé de manière assez naturelle et linéaire sans que je ne me pose vraiment la question de mon avenir professionnel. J’avais une aisance scolaire dans la moyenne. J’ai toujours été intéressée par les sciences politiques et le droit, c’est pourquoi par la suite de mon baccalauréat je me suis inscrite dans une faculté de droit à l’université de Toulouse. Très vite je me suis rendu compte que le format de cours à l’université n’était pas vraiment adapté à mon caractère car je suis d’une nature très curieuse mais je peux facilement m’ennuyer dans les cours théoriques, il me manquait un aspect vraiment créatif et actif durant l’apprentissage des savoirs. J’ai toujours aimé l’artisanat et admiré le savoir-faire dans le bois notamment mais finalement au vu de mes compétences scolaires on m’a toujours dirigée vers une voie générale et je ne m’étais pas projetée ailleurs et encore moins dans des métiers manuels car malheureusement les formations pour y accéder sont tellement dévalorisées, d’autant plus pour les filles, que l’on évite d’y mettre les bons élèves, sans aucune raison fondée. Par la suite j’ai eu l’opportunité de devenir collaboratrice parlementaire de la députée du Lot. Au gré de rencontres durant un engagement militant depuis mes 17 ans sur le territoire lotois. Ce fut une expérience très enrichissante qui m’a permis de prendre en assurance et de découvrir plus amplement le fonctionnement de nos instances nationales. J’ai ensuite cherché encore un an après cela ma voie, en parallèle j’ai travaillé en temps que AED dans un lycée et continué de m’engager sur la politique dans le figeacois étant colistière pour les municipales. C’est finalement après de longues années à chercher ma voie, à me découvrir à travers diverses expériences : professionnelles, humaines, associative, politiques que j’ai dévoilé un réel attrait pour le design premièrement mais surtout pour l’artisanat du bois. Devenir ébéniste m’est apparu vraiment comme une évidence. Je me suis inscrite en formation pour adulte en reconversion «titre professionnel» chez les Compagnons du devoir à Toulouse pour y suivre une formation d’un an.
> M. : qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller vers ce métier ?
J.B. : il y a beaucoup de choses qui m’ont donné envie d’aller vers ce métier tout d’abord j’avais envie de pouvoir allier la créativité que je possède naturellement à mon boulot mais par ailleurs j’avais vraiment à cœur d’acquérir un savoir-faire dans le travail du bois afin de pouvoir donner vie à toutes les idées de meubles et de création que j’avais dans la tête. C’est un métier de patience, de passion. Les métiers de l’artisanat sont des métiers de longue haleine contrairement à ce que l’on peut penser, on ne devient pas un bon artisan en un an de formation ni même en cinq ans de pratique c’est pourquoi la maturité et la patience que j’ai acquises durant mes années à chercher ma voie me servent énormément à l’heure actuelle dans mon apprentissage du métier et je peux mettre à profit mes années de réflexion pour savoir que la patience finit par payer, comme c’est le cas dans mon métier.
> M. : quels freins avez-vous rencontrés ?
J.B. : les freins que j’ai rencontrés sont uniquement les miens, les propres limites que je m’étais fixées. Je pensais tout d’abord que ce métier était principalement réservé aux hommes, comme tous les métiers manuels qui ont cette image très masculine du fait de leur dureté physique. Par ailleurs comme je l’ai déjà évoqué auparavant la plus grosse limite que je me suis moi-même fixée était celle concernant la formation en elle-même et non pas le métier, et je suis certaine que bon nombre de jeunes aujourd’hui doivent hésiter ou même se refuser des formations de type CAP, BP, uniquement en pensant que cela serait trop dévalorisant pour leur niveau intellectuel ou scolaire. Parce que pour le regard des autres quand on a fait un bac général, qu’on a eu avec mention, qu’on est capable d’avoir de bonnes notes en faculté de droit revenir à un niveau CAP, donc potentiellement «régresser» de niveau est un échec. Or, le véritable échec a été de me lancer dans des études qui ne me correspondaient pas, qui ne m’épanouissaient pas sur la simple base de jugement de valeur très limitant que je m’imposais à moi-même. Mais cela prend du temps à comprendre et accepter.
> M. : comment les avez-vous dépassés ?
J.B. : je les ai dépassés en prenant de la maturité, en changeant de point de vue et en rencontrant des personnes dont le parcours a été également en dents de scie. Mais surtout en prenant conscience que ma propre valeur ne dépendait pas de ma formation de mon diplôme ni de mon métier mais plutôt qu’elle dépendait de mon épanouissement et de tout ce que je suis capable de mettre en œuvre pour atteindre des objectifs qui me sont propres. Mes proches m’ont été d’un grand soutien pour franchir tous ses caps de réflexions avant de sauter le pas. Être entouré de bienveillance aide beaucoup lorsque l’on doute et que l’on se construit, c’est particulièrement vrai dans la partie de vie où on cherche son orientation.
> M. : êtes-vous épanouie dans votre vie professionnelle ?
J.B. : aujourd’hui je suis complètement épanouie dans ma vie professionnelle, je découvre chaque jour des aspects du métier que je ne connais pas et qui me maintiennent dans un apprentissage perpétuel de nouveautés ce qui est très stimulant intellectuellement. C’est très satisfaisant de voir son évolution lorsque l’on entreprend une nouvelle formation ou un nouveau métier. J’ai vraiment de la chance d’être entourée par une équipe, bien qu’exclusivement masculine, très à l’écoute et bienveillante envers moi au quotidien. Pour eux comme pour moi, ce qui compte dans le métier que l’on fait n’est pas son genre mais la motivation et la passion qui nous animent, car elles finissent par gommer nos différences et nous rassemblent. C’est même devenu une fierté d’être dans un métier dit «masculin» mais de prouver autour de moi qu’une femme en est tout autant capable sans mettre sa féminité de côté pour autant. Parce que souvent les femmes dans les secteurs masculins sont jugées « garçons manqués », ce qui est un préjugé totalement idiot.
> M. : avez-vous une figure inspirante ?
J.B. : Simone Veil pour son engagement politique résolument féministe, pour son courage, sa détermination à rendre le pays plus juste pour tous et toutes. De par son parcours personnel, de déportée jusqu’à devenir ministre, elle a prouvé à tout le monde et à chaque femme qu’il est possible de traverser des épreuves, de faire face aux heures les plus sombres de l’histoire et d’en sortir la tête haute : reconnue pour son professionnalisme, son engagement et sa droiture. Ce sont des valeurs qui me sont chères et qui ont toujours guidé chacun de mes choix et de mes engagements.
> M. : des conseils pour les jeunes femmes en train de construire leur parcours professionnel ?
J.B. : si j’avais un conseil à donner aux jeunes femmes qui sont en train de construire leur parcours professionnel, premièrement ce serait de s’autoriser absolument toutes les voies possibles. D’être curieuses, d’aller à la rencontre directement des professionnels pour découvrir des métiers auxquels elles n’auraient peut-être jamais pensé, de vraiment apprendre à se connaître avant de faire un choix soumis au regard des autres ou conditionné par ce que l’on pense être capable ou non de faire. Je leur conseille de ne pas se laisser décourager par des pensées limitantes, mais de les transcender en se convainquant qu’elles peuvent réussir dans n’importe quel domaine, si peu qu’elles mettent en œuvre le nécessaire pour y parvenir.
> M. : tout autre message que vous souhaiteriez partager.
J.B. : le message qui me tient à cœur ne concerne pas uniquement les jeunes femmes mais les jeunes en général : les métiers manuels ne sont pas destinés qu’aux élèves ayant des difficultés, on peut très bien réussir sa vie avec un CAP ou une formation professionnalisante. Et tant qu’on a l’amour de ce qu’on fait, tout est possible dans la mesure où on se l’autorise et on le rend accessible en fournissant les efforts nécessaires. C’est parfois plus difficile que ce que l’on pense d’oser aller vers ce que l’on aime mais le jeu en vaut la chandelle. J’aimerais profondément que le regard évolue sur les formations et les métiers manuels car ils méritent d’être revalorisés, et regardés sous un autre angle, ce qui encouragerait de nombreuses vocations chez les jeunes, à n’en pas douter !
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