La fin d’un train citoyen (Railcoop)
Nous vous partageons ici l’intégralité d’un article de Benoît Roux dans lequel les dirigeants exposent les causes de « l’échec » du projet.
Le tribunal de commerce de Cahors a mis en délibéré au 29 avril sa décision concernant l’avenir de la coopérative ferroviaire basée à Figeac dans le Lot. Pour ses dirigeants et les 14 000 sociétaires, l’issue ne fait aucun doute : après avoir été placée en redressement judiciaire en octobre 2023, Railcoop sera certainement placée en liquidation. Ses dirigeants reviennent sur les causes de ce projet novateur qui n’a pas été viable économiquement.
« On peut être fier du chemin parcouru, de l’obstination, de la persévérance. On ne peut pas aller jusqu’au bout, mais nous avons levé beaucoup de barrières. » Le cofondateur et président de Railcoop depuis 2023, Nicolas Debaisieux est certes déçu de la fin annoncée de Railcoop, mais il y voit également des motifs d’espérer. Les dirigeants de Railcoop ont analysé les raisons de cette chute annoncée de la coopérative ferroviaire dans les prochains jours.
L’État et certaines collectivités n’ont pas joué le jeu
Le tribunal de commerce de Cahors a tenu son audience le 15 avril 2024. Et même si sa décision a été mise en délibéré au 29 avril, la liquidation judiciaire de Railcoop devrait être officielle à la fin du mois. Ayant accumulé 4,7 M € de pertes sur ses activités fret en 2022, les 6 mois accordés à l’entreprise pour trouver comment sortir de la crise n’ont rien changé.
« Le redressement judiciaire a permis de stabiliser la situation. Les 14 000 sociétaires se sont fortement mobilisés et ils auraient voulu continuer. Nous avons levé 10 M € de fonds : 7 M en parts sociales et 3 M en titres participatifs. Les collectivités locales ne représentent que 13% », déclare Nicolas Debaisieux.
Et c’est l’une des causes de l’échec relatif du projet. Les citoyens ont répondu présent, mais les collectivités un peu moins. « Des régions comme l’Occitanie, Grand-Est ou encore Bourgogne Franche-Comté nous ont aidés, poursuit le président. Mais alors que nous voulions ouvrir une dizaine de lignes et principalement celle qui devait relier Bordeaux à Lyon, les deux régions concernées ne nous ont pas aidés. Rhône-Alpes a dit non pour rénover le matériel et nous n’avons eu aucune réponse de la part de la région Nouvelle Aquitaine. »
En Occitanie, 2 structures les ont soutenus : le Grand Figeac et la communauté de communes du bassin de Decazeville. Des petites communes du Lot sont également devenues sociétaires. En revanche, aucun département n’est venu prêter main-forte. La région Occitanie a fait une lettre d’intention pour se porter garant sur une partie de la dette pour les prêts. Ceci était conditionné au fait que d’autres régions s’engagent. La région devait donner une subvention pour le dispositif du fret, mais l’État a émis un avis défavorable.
Alors que la France a annoncé le retour des trains de nuit et la réouverture de certaines lignes, le projet Railcoop ne l’a pas intéressé. Fondée en 2019, la coopérative a acheté des trains à la SNCF. Il a fallu les rénover. Il existe un financement européen qui permet de faire garantir les prêts par les états concernés. La France a répondu en disant que ce système était réservé à la SNCF.
Railcoop n’a pas été suivie non plus par les banques et s’est heurtée à la situation de monopole de la SNCF.
Une structure inadaptée
Autre raison de cet échec, la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). « La coopérative a été une force pour nous, financée par des fonds propres, des particuliers et des collectivités locales. Nous avons eu des réflexions sur les services, un travail d’analyse sur une dizaine de lignes complémentaires de celles de la SNCF, une intelligence collective. Mais le financement de l’économie sociale et solidaire n’est pas une priorité en France. Ces structures n’ont pas les moyens suffisants pour des gros projets comme le nôtre. » Un constat un peu amer de Nicolas Debaisieux corroboré par son prédécesseur Philippe Bourguignon.« L’état du réseau est assez calamiteux en France et nécessite des investissements importants. Nous n’avons pas de dogme en termes de statuts. La coopérative a des avantages, mais un système hybride avec d’autres financeurs serait souhaitable. »
La société avait passé un premier cap en lançant son activité de fret, fin 2021. Railcoop livrait du bois pour le compte d’un client entre Figeac et Saint-Gaudens. C’est aussi pour ça que la région Occitanie voulait la financer et non pour la partie voyageurs. « On a voulu démontrer que ça circulait bien, qu’on était capables de produire des trains alors que certains pensaient que nous n’en étions pas capables, déclare le président de Railcoop. La croissance des recettes sur le fret a été plus lente que prévu. Nous devions développer l’activité voyageurs plus tôt, mais c’était très difficile d’avoir les financements, donc a retardé. Les sociétaires étaient contents que le fret marche, mais nous avons perdu un certain temps qui a été fatal. »
Philippe Bourguignon est lui aussi sur la même ligne : « on a maintenu le cap jusqu’au moment où il fallait arrêter l’hémorragie. On a donné toutes ses chances au fret. Les sociétaires ont voulu le maintenir jusqu’à ce que ce soit intenable car il consommait trop de trésorerie. Il fallait faire ses preuves et c’est plus facile sur du fret que sur des voyageurs. Un nombre important de sociétaires a refusé le soutien du privé. Ce schéma hybride était certainement le seul jouable. Le système coopératif est adapté à des projets de moindre importance. Là, il aurait fallu les deux et on l’a fait trop tard. ».
La lueur d’espoir aurait pu venir de l’étranger, notamment d’un investisseur espagnol attiré par la licence ferroviaire qu’avait la coopérative et qui est difficile à obtenir. Entre-temps, le placement en redressement judiciaire et la fin de cette licence sont passés par là
Raison trop tôt ?
Si les dirigeants reconnaissent volontiers des erreurs, ils relativisent cet échec, à commencer par son président Nicolas Debaisieux. « On a fait beaucoup de travaux, des études de marchés sur des lignes comme Bordeaux-Lyon, Toulouse-Rennes ou encore Strasbourg-Clermont. Il faut que ça serve. On a été les premiers à démarrer. On a pavé le chemin de succès futurs ».
Lorsque la coopérative est lancée en 2019, le contexte est différent. Le train n’a pas le vent en poupe et l’environnement n’a pas encore la priorité qu’il peut avoir aujourd’hui. En 2018, le rapport de Jean-Cyril Spinetta préconise la suppression des petites lignes ferroviaires, très coûteuses et peu fréquentées. « Ce rapport remis au gouvernement voulait fermer 8 000 km de lignes. Depuis, il y a une forte progression de l’envie de train, de voyager écologique. On avait pressenti ce changement, reconnaît Philippe Bourguignon. On parle environnement et le train a pris une place qu’il n’avait pas. Les sociétaires ont envie de poursuivre le projet avec une dizaine de lignes identifiées. La plus compliquée était celle reliant Bordeaux à Lyon, mais elles étaient pertinentes. »
Le Covid est aussi passé par là, compliquant encore plus la tâche de Railcoop alors naissante. Mais la fin de Railcop sonne aussi comme un projet visionnaire arrivé trop tôt. « La fréquentation a fortement augmenté, la SNCF a des résultats bien meilleurs aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Notre projet répondait à des besoins très forts des collectivités, surtout au centre de la France. »
Sonnés, mais pas résignés, les dirigeants ont envie que tout ce travail ne soit pas vain. Si le projet économique ne peut pas redémarrer tel qu’il était en place, il peut servir de référence. Si le tribunal de commerce de Cahors se prononce pour la liquidation judiciaire le 29 avril, la société disparaîtra. Les montants investis par les sociétaires seront perdus, les actifs (rames, certificats de sécurité, marque…) vendus par le liquidateur. Il devra aussi s’acquitter des dettes, notamment les 800 000 € de frais de garage réclamés par le restaurateur ferroviaire ACCM pour ses deux rames en attente de rénovation, même si le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s’en est tenu à une somme moins importante.
Plombée par les dettes, la société coopérative ferroviaire devait lever de nouveaux fonds (11 M€) pour lancer enfin sa ligne Bordeaux–Lyon. La liquidation judiciaire sonnera la fin du train citoyen.