L’adressage, les lieux-dits et la mémoire de nos terres
Ca y est ! l’adressage à Salviac c’est terminé ! Ils y travaillaient depuis un an. Comme l’indique la mairie toutes les adresses ont été créées et transmises aux Pompiers du SDIS, à La Poste et au Centre des Impôts. Et comme ailleurs, les habitants recevront leur plaque à son numéro.
L’occasion de vous parler de l’adressage. Si on comprend bien la nécessité et l’intérêt qu’il y a à « rationaliser » les adresses à l’heure de la géolocalisation, on ressent aussi que c’est là une « transformation profonde de la manière de vivre sa localisation » comme l’écrit le géographe Frédéric Giraut dans un article du journal Le Monde
Il est fini ce temps où l’on usait de descriptions imagées pour indiquer son adresse au téléphone au livreur. »Le chemin sur la droite en venant de la D2 , en face, à 50 m, le portail bleu qui sera ouvert. Entrez dans l’allée en castine. Vous le voyez ? »
Dans les territoires ruraux comme les nôtres souvent la nouvelle adresse ne porte plus la mention du lieu-dit car si les communes peuvent l’ajouter, peu le font même si elles y sont encouragées. Et puis, même si elles l’ont ajoutée en complément d’adresse, en pratique, si l’adresse est trop longue, les formulaires administratifs et commerciaux, comme ceux de La Poste peuvent tronquer l’adresse et faire « disparaître » ce lieu-dit.
Et c’est ainsi qu’en recevant ma nouvelle adresse, si j’étais contente que le nom de la route ait été conservé, j’ai regretté que la mention « lieu-dit Laborie » ne soit plus mentionnée. Pour nous, ce lieu-dit « identifiait » notre maison, C’était comme si j’avais perdu quelque chose.
Cette impression n’est rien d’autre que celle que décrit fort bien Frédéric Giraut quand il écrit, en parlant de l’adressage numérique: « on touche à l’intime, à l’identité et au paysage. c’est un changement de référentiel géographique : on passe d’une identification au lieu-dit à une identification à une voie (chemin, rue, route).
Or, ce sont deux types de toponymes et deux rapports à l’espace différents. Dans un cas, on appartient à une localité, dans l’autre on se situe sur un cheminement ».
Au lieu-dit Laborie, comme ailleurs probablement, une habitude ancienne réunissait à l’occasion « Ceux de Laborie » et parfois « ceux des combis ». Bien sûr on ne va pas arrêter. On continuera à se retrouver, ceux de Laborie et des Combis une fois par an. Une bonne façon d’intégrer les nouveaux quand il y en a. Bien sûr, ici les noms de lieux-dits n’ont pas disparu . Les panneaux restent. Les remplacera-t-on quand ils seront trop rouillés pour rester debout ? Comment feront nos petits-enfants pour savoir qui est de Laborie ou non ? Est-ce important à l’heure de l’Europe ?
Il ne s’agit pas ici de contester ce qui est fait ni comment cela est fait. C’est un travail technique pas si simple; Plutôt bien fait quand les rues, routes et chemins … ont été conservés, voire retrouvés pour « raconter » l’histoire du village aux plus jeunes ou aux nouveaux habitants.
Et puis il y a des problèmes techniques qui font que lorsque les maisons sont dispersées, qu’il y a plus de lieux-dits que de routes ou de chemins, il faut en choisir en choisir un. Et alors les lieux-dits intermédiaires qui longent une seule et même voie disparaissent pour n’en conserver qu’un.
Un village breton du Finistère a trouvé une alternative légale qui lui a permis de conserver l’intégralité des noms de ses 140 lieux-dits, sans y ajouter des « routes de » comme le préconisait la prestation de La Poste. Cela consiste à accoler le numéro métrique directement au nom du lieu-dit dans la base adresse, en inscrivant ce dernier dans le champ principal de la voie plutôt que dans le champ complémentaire. Ce qui donne par exemple : 125, Porz Cadiou (le nom du lieu-dit), sans inscrire de « route de » au milieu.
L’adresse est devenue plus utilitaire et l’air de rien c’est une petite révolution que cette loi « 3DS » de février 2022 – (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification ) qui a élargi l’obligation d’adressage à l’ensemble des communes, quelle que soit leur taille, alors qu’auparavant seules celles de plus de 2 000 habitants y étaient contraintes – soit seulement 15 % des municipalités – ; et non pas les villages
Internet encore et toujours. Cet outil qui vous permet de lire cet article. Ne crachons pas dessus. On le sait le raccordement à la fibre optique est un critère essentiel à l’attractivité pour attirer de nouveaux habitants – Et internet requiert une adresse.
Il s’agit simplement de prendre conscience qu’avec cet adressage, les pratiques s’homogénéisent et se standardisent sur l’ensemble de notre territoire.
Je n’ai pas trouvé de meilleur et plus agréable moyen pour vous parler de l’importance qu’il y a de mon point de vue, à conserver les noms des lieux-dits afin de garder la richesse sémantique et la mémoire des lieux-dits »
Prenez le temps d’écoutez cette lecture radiophonique que propose la BIG demain dans ses locaux ou en cliquant sur l’image ci-dessous.. Elle porte sur un lieu que vous connaissez peut-être ; celui de « la croix des femmes mortes » …
Je comprends, à la lecture de votre article, l’incidence générée par cette nouvelle loi, sur votre organisation personnelle, et surtout votre représentation subjective de votre environnement quotidien.
Illustration, peut être, de ce qu’un jeune homme pressé aurait appelé réfractaire gaulois, maladroite expression pour désigner évolution des comportements.
Illustration, plus probablement de la dichotomie entre la carte et le territoire, entre le symbolique et le réel.
La loi 3DS institue, et amorce, la création d’un nouveau langage, qui de fait pose de nouvelles normes
mais aussi unifie, simplifie et rassemble ses utilisateurs dans un même système d’échanges.
Créer un ensemble a pour corollaire d’en créer un autre, secondaire, celui de ceux qui ne font pas partie du nouvel ensemble.
Le temps et l’adaptation poliront les éventuelles tensions naissantes.
La tour de Babel est un idéal sisyphéen.
Pas facile mais je pense avoir compris ce que vous voulez dire.
Avez-vous écouté le podcast dont il est question à la fin de l’article ? Si non faites le et vous comprendrez mieux pourquoi je tenais à souligner non les tensions générées mais l’intérêt qu’il peut y avoir à conserver le nom des lieux dits. La loi 3 DS ne l’empêche nullement. Non je pense simplement à l’histoire des lieux. Sinon je me sens tout à fait appartenir à la société actuelle avec ses normes; sans me dissoudre pour autant dans un nouvel ensemble qui ignorerait son passé voire l’oublierait. Peut-on appartenir à deux ensembles ? Inclusion diraient les mathématiciens…