l’agriculture bio va-t-elle s’industrialiser?

L’Europe met l’ultime main à son nouveau projet de règlement qui encadrera la « bio européenne » à partir de 2021.

Pour une limitation des tailles d’élevage

Après des années de tractations, les grandes lignes du texte ont été adoptées en mai 2018. Il reste à négocier les règles détaillées. Dans cette dernière ligne droite, la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) sonne l’alarme. « Il y a un changement d’échelle de la bio. Il faut la développer harmonieusement en contenant les dérives industrielles », explique Guillaume Riou, président de la fédération. La FNAB appelle « la France et l’Europe à barrer la route à l’industrialisation des élevages biologiques ».

En ligne de mire, les élevages de poules pondeuses. « En Italie, certains élevages bio atteignent une capacité de 100 000 poules pondeuses », affirme David Léger, secrétaire national volailles de la FNAB. Cette association estime que « des élevages de plus de 15 000 poules pondeuses biologiques sont apparus en France ces dernières années. Ils ne représentent que 2 % des exploitations mais déjà près de 20 % du cheptel. » La pression est très forte alors que la grande distribution a fait de l’œuf bio un produit d’appel pour répondre aux attentes des consommateurs.

Le règlement européen actuel spécifie l’espace accordé à chaque poule dans le bâtiment et sur le parcours extérieur, nécessairement supérieur à celui octroyé à un volatile en cage ou même en « plein air ». Il fixe la composition de sa ration alimentaire. Mais rien n’est dit sur le nombre d’animaux par bâtiment, ni sur le nombre de bâtiments dans la même ferme. La FNAB milite pour une limitation des tailles d’élevage à 9 000 poules pondeuses. Une option qui n’a pas été retenue pour l’instant.


Paille ou caillebotis

L’absence de limitation concerne également les élevages de volailles de chair et la production porcine. Dans le cas des volailles, une autre inquiétude s’est fait jour. Jusqu’à présent, en France, des fermiers utilisent des bâtiments mobiles pour mieux aménager le parcours des poules dans les champs. Une alternative à laquelle ont souvent recours les plus petites fermes et qui n’était plus reconnue, dans un premier jet, par la Commission européenne. « Mais elle vient d’être rétablie, dans une nouvelle version du texte », affirme, avec soulagement, Fiona Marty, chargée des affaires européennes de la FNAB.

La France se bat aussi pour défendre son modèle de production porcine bio. « Nos élevages de porc sur paille, plutôt que sur caillebotis, répondent aux exigences de bien-être animal. De plus, l’usage de la paille présente un avantage environnemental car elle entraîne une production de fumier et non de lisier », explique Mme Marty.

Or, Bruxelles voudrait imposer une zone non couverte pour le parcours extérieur, ce qui obligerait à avoir recours à du caillebotis, omniprésent dans les élevages conventionnels, et donc remettrait en cause l’élevage sur paille. L’exception française n’est pour l’instant pas confortée par le futur règlement.

Les agriculteurs bio souhaitent également défendre le « lien au sol » pour les élevages, la capacité des fermes à pourvoir en partie à l’alimentation des animaux. Bruxelles donne, a priori, de nouveaux gages sur ce sujet. « Il y a une légère amélioration avec une part de la ration alimentaire pour les animaux provenant de la région qui passe de 20 % à 30 % », explique Mme Marty. Reste à définir la notion de région. Et là, les interprétations diffèrent. « En France, la région correspond au territoire national, quand, pour les Allemands il s’agit des Länder et, pour les Pays Bas, de l’ensemble de l’Europe continentale », ajoute Mme Marty.

« Arrivée d’acteurs qui n’ont pas les mêmes valeurs »

Beaucoup d’autres thèmes seront en discussion au niveau européen après l’élevage, comme les semences, les traitements des cultures et le rythme des contrôles, l’objectif étant de présenter une version finalisée du nouveau règlement mi-2020. « Ce que nous déplorons, c’est l’énergie déployée pour mettre au point un texte qui ne présente pas véritablement d’amélioration », résume, pourtant, la chargée des affaires européennes de la FNAB.

Beaucoup de zones grises actuelles laissent des marges de manœuvre. A l’exemple du débat qui s’est ouvert en France sur l’autorisation ou non de chauffer les serres pour les cultures maraîchères bio, rien n’étant formellement dit dans le cahier des charges. La FNAB milite pour l’interdiction du chauffage, en opposition avec les tenants d’une industrialisation de cette production. Un débat qui n’a toujours pas été tranché par les autorités françaises.

Toutefois, sur le sujet des cultures sous serre, la future règle européenne devrait mettre hors norme les cultures en bac ou sans lien direct avec le sol. Nonobstant le fort développement de ces pratiques en Europe du Nord. Ces pays, qui les justifiaient par leurs conditions climatiques, ont néanmoins décroché une période confortable de dérogation pour que les agriculteurs puissent s’adapter.

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« On est dans un contexte de développement rapide de la bio, avec des objectifs très ambitieux. Le paysage est en train de changer avec l’arrivée d’acteurs qui ne partagent pas les mêmes valeurs. La grande distribution fait pression sur ses fournisseurs », souligne Charles Pernin, délégué général du Synabio, un syndicat qui regroupe industriels et distributeurs spécialisés. « Le risque est de perdre la confiance du consommateur si la réalité de l’agriculture bio ne correspond plus à ses attentes », met en garde M. Léger.

Laurence Girard Le monde daté du 22-2.