« le jardin des cent tueurs » devant la mairie de Cahors
Battue à mort, tuée par arme blanche, tuée par arme à feu, égorgée, écrasée, étranglée, étouffée… De sa voix douce, Yolande Vignoboul, présidente du CIDFF 46, liste les femmes tuées par leur conjoint ou ex depuis janvier, en France. Elles sont déjà 137, âgées de 18 à 92 ans, s’appellent Guo, Marie-Claude, Fadela, Gracieuse, Dolores… Le centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Lot a ouvert hier la semaine de lutte contre les violences faites aux femmes en leur rendant hommage devant une soixantaine de personnes dont des élus. Hommage accompagné en musique par la musicienne Laetitia Canezza. Devant la mairie, il avait installé « le jardin des cent tueurs », des marguerites géantes dont les pétales représentaient les victimes.
Nombre de meurtres en hausse
Chaque année, le CIDFF ouvre cette semaine avec une action forte. L’an dernier, c’était une cabine diffusant les bruits de la violence domestique. Cette année, cette illustration de l’amour dévoyé via la marguerite qu’on effeuille. L’idée du thème est venue à la rentrée. La graphiste Patricia Crottier en a tiré une affiche, poétique au premier regard, mais qui annonce les drames à qui veut observer.
Le but de cette journée, outre l’hommage aux victimes, était de sensibiliser la population à ces meurtres. L’année 2019 a été particulièrement dramatique, souligne la présidente du CIDFF, appuyée par la secrétaire Martine Peyrilles. Le nombre de femmes tuées est en hausse mais « la médiatisation au cas par cas fait qu’on est plus sensibilisés ». Si le Lot n’a pas été touché par les meurtres de femmes au sein du couple cette année, il est loin d’être épargné par les violences.
Un terreau de patriarcat
Parmi ceux et surtout celles qui sont venus ce samedi matin, Carole, 51 ans, que son métier de sage-femme a amenée à croiser des victimes de violences ou encore Isabelle, 65 ans. Celle-ci dénonce un manque de moyens et déplore « dans notre société française, un terreau de patriarcat… Toutes ces femmes avaient dit, signalé et ça a été banalisé ». Elle ajoute : « Dans mon enfance, j’ai assisté à des violences dans des familles… comme un fait culturel. Enfant, je savais que ce n’était pas normal ».
« Localement, le repérage est difficile »
Un des buts de cette action sur le parvis de la mairie était de pouvoir toucher des victimes. « Localement, le repérage est difficile, dit Yolande Vignoboul, des femmes ont du mal à se dire qu’elles sont victimes, par déni et certainement parce qu’on est dans un milieu rural ». Chaque année, entre 700 et 800 personnes consultent les juristes du CIDFF sur tous les droits de la famille. Le centre compte trois salariées, une responsable et juriste, l’autre chargée des droits des jeunes, la dernière de l’insertion, volet important car « ce qui manque le plus aux femmes ce sont les moyens financiers de partir de chez elles ».
CIDFF, 80 rue des Jardiniers, 05 65 30 07 34, cidfflot@wanadoo.fr. Permanences à Figeac, Saint-Céré, Gramat, Gourdon, Puy-l’Evêque, Souillac.
Le premier ministre a présenté à Matignon, lundi 25 novembre, les arbitrages du gouvernement à l’issue du Grenelle des violences conjugales…
Marlène Schiappa, a déjà annoncé un certain nombre de mesures. Parmi elles figurent notamment la décision de réquisitionner les armes à feu d’un homme violent « dès la première plainte » et l’élaboration d’une grille d’évaluation du danger destinée aux gendarmes et aux policiers qui accueillent les femmes victimes, présentée conjointement vendredi avec le ministre de l’intérieur.
Outre ce dispositif, salué par les associations, le premier ministre a annoncé lundi la création de 80 postes d’intervenants sociaux supplémentaires dans les commissariats et les brigades, d’ici à 2021, pour améliorer l’accueil des femmes victimes. A l’heure actuelle, ils sont 271 – le renforcement constitue donc une hausse de 30 % des effectifs, précise Matignon.
Sur le volet de l’accompagnement des victimes, le premier ministre a indiqué que la plate-forme téléphonique 3919 – Violences femmes info, géré par la Fédération nationale solidarité femmes, serait à l’avenir accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
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Violences psychologiques
Edouard Philippe et Marlène Schiappa ont présenté à Matignon, lundi 25 novembre, les arbitrages du gouvernement à l’issue du Grenelle des violences conjugales.
Edouard Philippe et Marlène Schiappa ont présenté à Matignon, lundi 25 novembre, les arbitrages du gouvernement à l’issue du Grenelle des violences conjugales. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Le 29 octobre, les onze groupes de travail du Grenelle, qui rassemblaient les acteurs concernés par la lutte contre les violences faites aux femmes, avaient présenté une soixantaine de recommandations. Edouard Philippe en a retenu plusieurs. C’est le cas de la notion d’emprise, encore largement méconnue, qui sera prise en compte dans le code civil et pénal. Avec la création de l’incrimination du suicide forcé, ce choix illustre la volonté du gouvernement de mieux prendre en compte les violences psychologiques, au cœur des violences au sein du couple.
Une autre proposition issue des groupes de travail concernait l’aménagement du secret médical, afin de permettre aux médecins de signaler des faits de violences conjugales sans l’accord de la victime, « en cas de risque sérieux de renouvellement de celles-ci ». Des négociations sont en cours avec le conseil national de l’ordre des médecins pour déterminer s’il s’agira d’une obligation ou d’une simple possibilité.
Plusieurs dispositions concernent les enfants et l’exercice de l’autorité parentale. Celle-ci sera suspendue dès la phase d’enquête en cas d’homicide conjugal. Le juge pénal pourra également suspendre ou aménager l’autorité parentale dans les affaires de violences conjugales. Ces mesures, qui nécessitent une évolution législative, prendront la forme d’une proposition de loi portée par deux députés de la majorité, Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha, discutée à l’Assemblée « dès janvier ».
Suivi des auteurs
Lors de la marche contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, à Paris le 23 novembre.
Lors de la marche contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, à Paris le 23 novembre. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
Outre les modifications liées à l’exercice de l’autorité parentale, elle comportera plusieurs volets importants : l’aménagement du secret médical, la création de l’incrimination de suicide forcé, la suppression de l’obligation alimentaire de l’enfant vis-à-vis du parent meurtrier…
Tous les groupes de travail avaient insisté sur l’importance de former davantage l’ensemble des professionnels au contact des victimes, un aspect jugé prioritaire. La réponse du gouvernement sur ce point s’adresse aux enseignants, qui recevront désormais une formation obligatoire à l’égalité entre les filles et les garçons, qui était jusqu’à présent optionnelle.
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Enfin, de façon plus inattendue, la question controversée du suivi et de la prise en charge des auteurs, qui là encore avait surgi dans plusieurs groupes de travail, a été retenue, « parce que derrière ce sujet se trouve celui de la prévention de la récidive », a rappelé à juste titre Edouard Philippe. L’accent sera mis sur leur évaluation, faite par une équipe pluridisciplinaire, dès la phase de l’enquête, afin de les orienter vers des protocoles existants, comme les groupes de parole. Par ailleurs, un appel à projets sera lancé en 2020 pour que deux centres de prise en charge par région soient créés, sur le modèle du Home des Rosati, à Arras (Pas-de-Calais), un centre d’hébergement pour les auteurs de violences conjugales obtenant des résultats probants en termes de récidive…
Extrait du Monde daté du 26-11