Les collectivités sont-elles sensibles au risque de corruption?

« Les outils pour prévenir la corruption sont insuffisamment mis en œuvre par les collectivités.

Chartes anticorruption, cartographie des risques, formation des agents et des élus… Les collectivités territoriales doivent s’engager plus fortement dans la prévention de la corruption. C’est ce que révèle une récente enquête en ligne menée par l’Agence française anti-corruption que décrypte le directeur-adjoint, Gérald Begranger, et ce à la veille de l’ouverture par l’AFA et le CNFPT d’un cours en ligne sur la probité des acteurs publics.

Quel est le degré de sensibilisation au risque « corruption » dans les collectivités et quels dispositifs les élus locaux ont-ils mis en place pour prévenir toute atteinte à la probité ? L’Agence française anticorruption (AFA) a sondé près de 3 000 acteurs publics locaux. Son directeur-adjoint, Gérald Bégranger, analyse pour « Le Courrier des maires » les premiers résultats.

Courrier des maires : Pourquoi avoir lancé cette enquête auprès des collectivités ?

Gérald Begranger : L’idée de départ était de faire une photographie du ressenti de la lutte anticorruption à partir des déclarations des intéressés en touchant un grand nombre d’élus et de cadres territoriaux. A la constitution de l’AFA, nous nous sommes d’abord concentrés sur les entreprises car elles étaient désormais sujettes à des obligations sanctionnables en cas de manquement. Notre feuille de route nous a ensuite amenés à nous tourner vers les collectivités. Et pour mieux conseiller ces acteurs, notre chef du département « conseil aux acteurs publics », constitué de 5 personnes dédiées aux collectivités, est une ancienne DGS.

Il y a deux dimensions dans l’enquête : une dimension objective, avec le recensement et la comptabilisation des condamnations pénales. Et une autre dimension, aussi importante, sur le ressenti des gens : comment l’élu local perçoit le risque de corruption dans sa collectivité et qu’y met-il derrière cette notion ? Dans certains cas, l’élu peut ne pas avoir conscience que tel ou tel « service rendu » relève d’une prise illégale d’intérêts. Cela doit nous aider à cibler nos efforts de pédagogie sur tel ou tel sujet.

Que révèle l’enquête menée par l’AFA ?

 Gérald Begranger, directeur adjoint de l’Agence française anti-corruption (AFA)D’abord, le risque corruption parle à tout le monde, à plus de 90 %, et à 72 % pour la notion de trafic d’influence. En revanche, les outils pour prévenir la corruption sont insuffisamment mis en œuvre. Charte anticorruption, cartographie des risques, adoption d’un code de bonne conduite, existence d’un dispositif de contrôle, évaluation des tiers, formation des agents et des élus, mise en place d’un recueil d’alertes… globalement, très peu de collectivités satisfont à l’ensemble de ces exigences. En cause : une loi récente – décembre 2016 – dont l’article 3 ne dit pas grand-chose aux collectivités si ce n’est que l’AFA « contrôle la qualité de leurs procédures ». Mais il s’agit souvent tout simplement d’une question d’engagement plutôt que de moyens. Des collectivités s’engagent, car l’exécutif a décidé de se saisir du problème. D’autres le font après une affaire de corruption les ayant touchées et certaines à l’occasion d’une démarche de bonne gestion des deniers publics avec la certification des comptes. On peut intégrer le risque corruption en s’appuyant sur l’existant, via des dispositifs de prévention plus larges d’autres risques, de contrôle et d’évaluation interne.

Concrètement, quels sont les dispositifs mis en place sur le terrain ?

L’article 8 de la loi Sapin 2 prévoit une obligation de recueil de signalements dans les communes et collectivités de plus de 10 000 habitants. Or peu de collectivités ont mis en place des dispositifs consistants pour prévenir toute atteinte à la probité. Et si les grandes ‘collectivités, régions et départements, ont un temps d’avance, les communes sont loin derrière et ce ne sont pas les grandes villes qui s’en sortent le mieux… L’instauration d’un référent déontologue est suivie par certes 58 % des départements mais seulement 20 % des communes concernées et 19 % des EPCI.

L’idée de protéger les lanceurs d’alerte semble avoir du mal à faire son chemin…

Les lanceurs d’alerte constituent un sujet récent et qui peut heurter la culture de notre fonction publique : faire place à la liberté d’expression n’y va pas de soi. Il faut acculturer cette idée que toute personne doit pouvoir révéler des faits qu’elle estime, en sa conscience, contraires à la probité, et faire fi de sa situation professionnelle si elle n’est pas entendue par sa hiérarchie.

Les marchés publics constituent-ils les premiers risques pour le secteur public local ?

La corruption et le favoritisme parlent à tout le monde alors que la prévention des conflits d’intérêts, cette idée de « rendre service à quelqu’un », est bien moins appréhendée. Il peut apparaitre difficile pour l’élu de se déporter régulièrement sur un grand nombre de délibérations. Il nous faut expliquer cela via des conseils pratiques d’où notre collaboration avec l’AMF pour diffuser ces bons réflexes.

Comment intervient l’AFA auprès des collectivités ?

L’agence intervient sous deux formes ; avec une dimension procédurale : quels sont les dispositifs à mettre en place dans les organisations complexes ; et sur la culture de la lutte contre la corruption. Celle-ci est difficile à mesurer mais si cette culture n’existe pas – quel est le degré d’exigence éthique d’un élu local ? – il est difficile d’envisager ensuite une mise ne œuvre des dispositifs. Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de normes nouvelles : c’est un travail de fond et d’information qu’il faut mener, notamment sur la commande publique.

Quelle est la marge de manœuvre de l’AFA sachant qu’elle ne peut sanctionner d’elle-même un acteur public fautif ?

Nous n’avons pas de pouvoir de sanction mais le directeur est libre de choisir les collectivités à contrôler, comme pour les autres administrations. Et il ne peut recevoir aucune instruction de quelque administration ou office gouvernemental que ce soit. Ensuite, la prévention permet de renforcer la sanction. Et toute bonne politique de lutte contre la corruption doit être faire de sanctions sévères et fermes.

Quels sont vos partenaires pour faire progresser cette culture de prévention de la corruption ?

Nous avons un partenariat avec le CNFPT, avec qui nous proposerons un cours en ligne sur la prévention des atteintes à la probité des acteurs publics dès le 24 septembre. Nous travaillons aussi avec l’AMF pour diffuser les renseignements sur les obligations d’information des agents et élus sur le recours aux référents déontologues notamment. Car les collectivités constituent un public difficile à toucher vu leur grand nombre et leur diversité. Et nous portons ce message : les collectivités peuvent venir vers nous pour un accompagnement, territorialisé et individualisé en fonction de la structure, vers un dispositif anticorruption.

L’enquête en ligne menée par l’AFA auprès de 3 277 acteurs publics locaux montre des collectivités sensibilisées au risque de corruption en leur sein, mais avec un faible niveau de mise en œuvre des outils dédiés : référent déontologue, procédure de recueil des alertes, formations anticorruption, etc.

Comment inciter les élus locaux à communiquer auprès de leur population sur leur action pour lutter contre la corruption sans que le soupçon ne se retourne contre eux ?

Il y a une vraie difficulté pour les élus locaux à communiquer sur ces sujets-là : la grande majorité d’entre eux est honnête et n’a pas de problèmes à dire ce qu’ils font pour lutter contre la corruption. Mais, en même temps, communiquer dessus revient à laisser penser à la population qu’il y a de la corruption dans la collectivité ! Il y a nécessité de bien faire comprendre qu’il s’agit d’une politique de prévention pour éviter que cette démarche positive ne les desserve. C’est un travail de communication qui se fera dans le temps, après quelques balbutiements logiques…

par Aurélien Hélias Courrier des maires