Les conseils de développement, un moyen d’aller vers la démocratie participative?
Après des semaines de débats agités, le sort des conseils de développement sera scellé aujourd’hui, mercredi 11 décembre, lors de la commission mixte paritaire du projet de loi Engagement et Proximité. La concertation à l’échelle intercommunale sera-t-elle sacrifiée sur l’autel des tentatives de réconciliation Etat-collectivités et du libre-choix des élus ? Les députés semblent toujours plus réticents à prendre le risque d’appauvrir les processus de décision au niveau local que le gouvernement et le Sénat.
Il y a des marqueurs, dans la vie politique française, capables de clarifier à eux seuls la conception que les protagonistes d’un même débat se font de la démocratie. Rien ne prédestinait les conseils de développement à entrer dans cette case. Mais, aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, c’est désormais le cas de ces instances de concertation obligatoires, pour l’heure, dans les EPCI de plus de 20 000 habitants mais largement méconnues du grand public, en sursis depuis quelques semaines.
A ce titre, le verdict de la Commission mixte paritaire qui oppose gouvernement, sénateurs et députés autour de l’article 23 du projet de loi Engagement et Proximité sera surveillé de près, mercredi 11 décembre. Récapitulons : dans la droite ligne de l’opération « reconquête » lancée par Emmanuel Macron auprès des maires de France à l’approche des municipales 2020, le ministère de la cohésion des territoires a souhaité « faciliter le quotidien » des élus. A tout prix. Quitte à brouiller l’image si patiemment construite d’un président de la République et d’un mouvement politique partisans d’une démocratie réelle, plus participative, ne serait-ce qu’au niveau local…
L’Assemblée tempère le Sénat et le gouvernement
Constatant que nombre d’exécutifs intercommunaux théoriquement concernés ne respectaient déjà pas leur obligation de créer des conseils de développement, Sébastien Lecornu, le ministre qui tient la plume de ce texte, s’était mis en tête de les rendre facultatifs par le biais de son article 23. Prétendant eux aussi au titre de « facilitateurs », les co-rapporteurs du projet de loi au Sénat, Matthieu Darnaud (LR) et Françoise Gatel (UDI) supprimèrent, pour leur part, l’ensemble des dispositions relatives aux conseils de développement dans le code général des collectivités. Se défendant de toute forme de surenchère, la sénatrice d’Ille-et-Vilaine expliquait alors vouloir « s’en remettre à la libre-administration des collectivités territoriales. Elles auront le loisir de créer de telles instances, en en définissant la composition, le fonctionnement et les missions » argumentait-t-elle. Cherchant une forme de compromis acceptable par tous, les députés ont depuis réaffirmé le caractère obligatoire des conseils de développement… au-delà de 50 000 habitants ; leur création étant de nouveau rendue facultative en-dessous de ce seuil.
Faisant partie des rares voix discordantes au Sénat, Nathalie Delattre ne comprend pas la genèse de ces multiples allers-retours. « Même si les conseils de développement existants ne seront pas menacés, ce projet de loi tel que rédigé n’incitera pas les élus à s’en doter, et c’est bien dommage. Ce sont des outils d’aide à la décision pertinents. Leurs bénévoles approfondissent des dossiers que les élus locaux, qui ont tendance parfois à s’isoler et gouvernent le nez dans le guidon, n’ont pas toujours le temps de creuser » vante la sénatrice (RDSE) de Gironde. « Comme pour la parité en politique, la démocratie participative ne se développe pas naturellement. Cela vaut d’autant plus à l’échelle intercommunale. »
Des instances qui ne demandent qu’à être évaluées
« Sur le terrain, les élus locaux sont plus partagés sur les conseils de développement. Derrière ce terme générique, il y a de très belles histoires, mais aussi des cas qui suscitent plus de scepticisme » alerte pourtant le délégué général de l’Assemblée des communautés de France (AdCF), Nicolas Portier. « Nous avons conscience d’être largement perfectibles » rétorque Dominique Valck, co-président de la coordination nationale des conseils de développement et principal lobbyiste en faveur de leur maintien. « Mais, qu’on décide de nous supprimer ou de nous rendre facultatifs, le préalable ne devrait-il pas être d’évaluer au préalable, de façon contradictoire, les travaux des CoDev ? Avant d’acter en catimini une telle régression démocratique, nous revendiquons un droit d’inventaire susceptible de faire émerger des conseils de développement de seconde génération. »
Sans faire preuve d’angélisme, l’Association nationale des Pôles territoriaux et des Pays (ANPP) soutient le principe d’une telle évaluation. « Certains conseils de développement fonctionnent très bien, d’autres correctement tandis que d’autres ne font que vivoter. Mais, globalement, tout ce qui participe à faire avancer les réflexions sur l’aménagement durable, la transition écologique ou encore la démographie médicale au sein d’un territoire ne peut être que bénéfique et devrait être conforté. L’intercommunalité ne peut pas se résumer à la gestion du quotidien et à la révision du marché public sur le remplacement des lampadaires… » déplore son directeur, Michael Restier.
Des élus qui réclament libertés et confiance…
L’AdCF, elle, ne s’inquiète pas outre-mesure de l’arbitrage que rendra la CMP. « Honnêtement, l’obligation d’associer les forces vives du territoire à l’élaboration de nos projets d’agglomération est rentrée dans les mœurs. Les élus veulent tous développer le dialogue avec la société civile organisée. La fonction que les conseils de développement sont censés remplir aujourd’hui devra continuer à être remplie, demain » balaie d’un revers de la main Nicolas Portier.
Et, à l’entendre, les élus s’acquitteront d’autant mieux de cette tâche qu’ils disposeront de toute la liberté et la souplesse nécessaire pour organiser ces instances à leur guise, définir leurs modalités de fonctionnement, leurs règlements intérieurs, leur degré d’autonomie ou leur composition, etc.
… en dépit de nombreux contre-exemples
Pourtant, rares sont les conseils de développement qui semblent avoir réellement échappé aux mains des élus locaux voire s’être retournés contre eux par le passé. Les exécutifs communautaires n’ayant jamais mis en place de telles structures en dépit des formalités législatives censées peser sur eux, par exemple, n’ont jamais été inquiétés par leurs préfets respectifs. A commencer par l’agglomération du Havre, présidée sept ans durant de 2010 à 2017 par l’actuel Premier ministre, Edouard Philippe… Au-delà de ce cas parlant, plusieurs intercommunalités soucieuses de ne pas prendre le risque d’être contredites par une partie de leur population ont dévoyé l’esprit de ces instances de concertation en les neutralisant au maximum. C’est le cas, entre autres, de Seine Normandie Agglomération si chère au ministre Sébastien Lecornu – qui est toujours son président délégué – et de son « CESE » présidé directement par un élu communautaire…
« Les maires et présidents d’intercos désireux de continuer à gouverner seuls, sans rendre de comptes à personne, n’ont qu’à placer au sein des conseils de développement leurs affidés dépendants financièrement de leurs collectivités. Rien ne les oblige, par ailleurs, à nous donner les moyens humains, financiers et matériels nécessaires pour rendre des avis dignes de ce nom… Si l’idée d’une démocratie participative de qualité, disposant d’un minimum d’autonomie vis-à-vis des élus, était ancrée dans les mœurs au niveau local, le sort des conseils de développement nous paraîtrait anecdotique, à nous aussi, sincèrement. Le problème, c’est l’immaturité actuelle de la démocratie locale à la française, qui se confond encore par endroits avec le fait du prince » s’énerve Dominique Valck. « Allez demander aux élus dont les conseils de développement ont organisé des réunions du Grand Débat national et les ont aidé à tourner la page des Gilets Jaunes si nous étions aussi peu utiles et constructifs ? Les élus risquent de se retrouver très seuls, prochainement, face à la progression du niveau de défiance citoyenne. L’incapacité culturelle du gouvernement comme des sénateurs à saisir l’urgence de la crise démocratique nous inquiète. »
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