Les élus du nord du Lot: « Pas de médecin et c’est la désertification du Lot »

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Comment allons-nous être soignés, si l’on ne trouve pas de successeurs aux médecins prenant la retraite ? Et à quoi cela sert-il de réaliser des Maisons de santé, si aucun médecin ne veut s’y installer ?

« Il n’y aura pas assez de chaises pour tout le monde ! » s’exclame Raoul Jauberthie, maire de Cressensac, en voyant se remplir la salle des fêtes, ce vendredi soir 26 janvier, peu avant 20 h.

Aux premiers rangs, prennent place des élus venus des secteurs du Lot, de la Corrèze et de la Dordogne, desservis par les deux médecins actuels de Cressensac. Mme la député se fraye un passage. Ceint de son écharpe tricolore, M. Jauberthie lance la soirée. Il remercie les participants d’être venus en grand nombre soutenir la recherche de médecins.

En effet les Dr Teindas et Delon, après quarante ans de service, font valoir leurs droits à la retraite, sans avoir pu trouver de successeurs. Leur rayon d’intervention s’étire sur une quinzaine de kilomètres à la ronde à travers les communes limitrophes de Cressensac et ponctuellement sur quinze communes supplémentaires. Ils sont chaleureusement applaudis.

Les Services de Santé mis en cause

Le maire plante le décor. Les généralistes voisins ne prennent plus de nouveaux patients et plusieurs d’entre eux sont en âge d’arrêter. Deux médecins ont déjà cessé leurs fonctions sur Souillac, un couple de médecins a également mis fin à son activité à Vayrac et à Martel un médecin est également sur le départ.

Dans ce contexte se pose déjà la question des gardes en fin de semaine. Plus de 70 personnes âgées ou handicapées sont recensées, se trouvant dans l’incapacité de se déplacer vers des services d’urgence, lesquels s’avèrent d’ailleurs saturés. Est remise en cause dans le même temps la notion de médecin référent.

Première flèche décochée par l’élu : « On ne peut que regretter que les instances de l’État n’aient pas pris en compte depuis longtemps la nécessité de renouveler les départs des généralistes ». Et M. Jauberthie d’ajouter : « Il est grand temps de leur rappeler que la santé des concitoyens n’est pas un sujet mineur ! »

La municipalité de Cressensac a mis en place une commission « Avenir du système médical » en charge de ce dossier. Celle-ci est composée de quatre élus (Catherine Beffara, Claude Laubin et Guy Louradour l’ancien maire). Applaudissements. Guy Louradour prend les commandes d’un diaporama passant en revue la situation sous toutes ses facettes et les diverses actions entreprises en vue d’attirer à Cressensac de nouveaux médecins.

Rien laisser au hasard

La commission est allée à la rencontre des professionnels de santé et a pu s’entretenir non seulement avec les deux médecins, mais aussi avec l’ensemble du personnel de la maison de santé multidisciplinaire. Dans un premier temps, il y a deux ans, des annonces ont été publiées auprès de Pôle Emploi et même sur leboncoin, tant qu’à faire ! En vain !

« L’État doit intervenir ! » clame Guy Louradour, passablement remonté, et constatant que la problématique ne relève plus des élus locaux. Il renchérit : « Cressensac dispose d’une maison de santé pluridisciplinaire, d’un cabinet médical, d’un cabinet dentaire et d’une pharmacie. Elle compte également une crèche et un RAM, deux écoles, une médiathèque… » Les élus locaux entendent signifier par là qu’ils ont fait ce qui relevait de leurs compétences. Autant d’investissements souvent coûteux qui avaient pour but d’attirer de jeunes couples. Cela s’est effectivement produit puisque les effectifs de l’école maternelle sont en constante évolution et que la crèche connaît l’un des meilleurs taux de présence d’enfants. Or, malgré ces équipements, la commune ne parvient pas à attirer de nouveaux médecins.

Opérations séduction

Dans un second temps, la commission a envoyé une lettre à des médecins déjà installés dans des secteurs géographiques où ils pourraient être susceptibles de rêver d’une vie à la campagne, entourés de sites merveilleux. Ils ont écrémé 40 villes du département de Seine-et-Marne en postant 868 lettres d’invitation à venir s’installer à Cressensac. « Si on n’a pas de réponse, on attaque la région nord ! » poursuit Guy Louradour, le ton offensif.

Parallèlement, des courriers ont été adressés aux présidents des internes, les réseaux sociaux ont été investis à l’intention des étudiants en médecine de Limoges. Une vidéo est diffusée via Youtube… La commission met les bouchées doubles, d’autant que pour remplacer les deux médecins prenant la retraite, « il nous faut trouver trois à quatre médecins » assure Guy Louradour. L’élu explique qu’il faut prendre en compte la nouvelle approche du métier qu’ont les jeunes et leurs rapports aux temps libres et aux loisirs, la féminisation de la profession avec les éventuels congés de maternité, l’étalement de la zone à couvrir portant sur le territoire de 27 communes…

Désertification sociale

La disparition de médecins à Cressensac entraînerait des conséquences gravissimes pour les habitants du secteur. Les malades de la patientèle actuelle des communes renonceront aux soins ou seront dirigés sur les urgences quelles que soient leurs pathologies. La pharmacie de Cressensac risque fort de se retrouver en difficulté. Il y a aussi la crainte de dérives…

Quant au commerce local, qui prospérait avec la présence des patients sur le territoire, il s’en trouvera fragilisé. Sans médecin à proximité, les jeunes couples ne viendront plus sur les communes du secteur. « Le désert médical induit inexorablement une désertification sociale et économique des communes » conclut M. Louradour à la lumière du rapport de la commission. Aussi, un rééquilibrage de la démographie médicale est attendu afin de garantir aux populations un égal accès aux soins. Applaudissements.

L’union sacrée des élus

« Nous demandons une prise de conscience de la « CRISE SANITAIRE LOCALE ET NATIONALE » sans précédent et exigeons des mesures nationales efficientes propres à assurer sur nos communes, à très court terme, l’accès aux soins pour tous » déclare Habib Fenni, maire de Sarrazac, invitant ses collègues maires à mettre la main à la poche pour recourir à un cabinet de recrutement.

Modifier les pratiques d’installation
Les élus demandent qu’il soit imposé à tous les praticiens de la santé une logique de solidarité collective :
– Réorganiser la liberté d’installation des médecins (comme cela a été fait pour les infirmier (e)s) afin de répartir équitablement leur nombre dans les différentes zones ;
– Réorganiser la permanence des soins, des maisons de garde, des médecins correspondants du Samu, des médecins dédiés aux gardes ;
– Définir des équivalences de diplômes et de qualifications des médecins hospitaliers étrangers francophones non européens  leur permettant de s’installer sur nos territoires ;
– Généraliser des dossiers médicaux partagés grâce à un logiciel commun ;
– Détachement d’internes des hôpitaux, en lien avec l’ARS, la Communauté de communes et l’hôpital afin de maintenir une permanence des soins en cas d’échec de recrutement.

Vers la télémédecine ?
Huguette Tiegna, députée du Lot, a salué la démarche de « co-construction » des élus, faisant preuve de solidarité à travers leur mobilisation. Elle souligne que des difficultés rencontrées pour trouver un médecin en milieu rural se généralisent. Elle pointe du doigt le problème de l’implantation géographique des médecins, optant majoritairement pour les métropoles et leurs abords, évitant en cela les contraintes. Elle évoque la télémédecine comme l’un des éléments de réponse aux soucis actuels et prône une régulation de l’installation des médecins. Elle demande la prise en compte du caractère du Lot avec ses personnes âgées, des personnes handicapées et les soucis de transport. Elle incite les élus à poursuivre leurs efforts, notamment dans le cadre d’accords locaux. Mme Tiegna doit s’entretenir avec la Ministre de la santé sur la situation et souhaite proposer la mise en place d’expérimentations, en vue de trouver des solutions.

Les atouts de Cressensac
S’appuyant sur les résultats d’un sondage effectué auprès des étudiants en médecine de Limoges, les critères mis en avant sont remplis par la commune de Cressensac : être situé à moins de 30 m d’un hôpital, à moins d’1h30 d’un CHU, pouvoir travailler au sein d’une équipe pluridisciplinaire, disposer d’une pharmacie et d’un secrétariat, être situé à moins de 30 minutes d’une ville, avoir une crèche, une école, et que le prix de l’immobilier soit abordable !
Et l’ancien maire se pressant d’ajouter : « Nous sommes à proximité de lieux touristiques de renommée mondiale, nous avons les commerces locaux, un aéroport et deux autoroutes à proximité A20 et A 89. »