Les moines de Tibhirine seront béatifiés le 8 décembre
Les sept moines trappistes de Tibhirine, Mgr Pierre Claverie, quatre Pères Blancs, un frère mariste, six religieuses tous présents en Algérie, tous assassinés entre 1993 et 1996, au cours d’une guerre civile algérienne entre le gouvernement et des groupes islamistes, ont été reconnus martyrs par le pape François le 27 janvier 2018. Soient seize Français, deux Espagnoles et un Belge.
La cérémonie de béatification sera célébrée à la basilique de Santa Cruz à Oran, avant le début de la campagne présidentielle qui débute en janvier, période très politique pour le pays. « Le 8 décembre a été choisi et c’est devenu à mes yeux la plus belle date qui soit, a déclaré Mgr Jean-Paul Vesco, actuel évêque d’Oran et organisateur de l’événement. Ce ne sera pas un pèlerinage uniquement chrétien, annonce-t-il. Une place importante sera accordée à l’Algérie et à sa religion (l’Islam) d’une manière ou d’une autre ».
Christian de Chergé venait tous les étés à Saint-Michel-de-Bannières
« Leur béatification sera pour l’Église et pour le monde un élan et un appel à bâtir ensemble un monde de paix et de fraternité » se réjouissent les évêques d’Algérie dans un communiqué.
La fête mariale de l’Immaculée Conception permettra de rassembler chrétiens et musulmans autour de la figure de Marie.
Un fidèle de Saint-Michel-de-Bannières
De ses attaches lotoises, Christian de Chergé en était fier. Son testament est gravé dans l’église de Saint-Michel-de-Bannières près de Vayrac. Pourquoi ? Ce village du nord du Quercy est depuis longtemps un lieu de résidence de la famille de Chergé. Fils d’une famille nombreuse, il venait tous les étés à Saint-Michel, heureux des liens étroits tissés avec les habitants du bourg.
« Un priant parmi les priants »
Fils de militaire, Christian a connu l’Algérie dans son enfance et pendant deux années de service militaire en pleine guerre d’indépendance. Après des études au séminaire des Carmes à Paris, il devient chapelain au Sacré-Cœur de Montmartre pour regagner Tibhirine en 1971. C’est lui qui va faire passer l’abbaye au statut de prieuré pour orienter le monastère au milieu des musulmans, vers une présence de « priants parmi les priants ».
Il a été assassiné en mai 1996 avec six autres moines. Ils ne cherchaient aucune glorification de la mort : « Je ne vois pas comment je pourrai me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre » écrivait-il avec clairvoyance quelque temps avant sa mort. Les religieux auraient pu rentrer en Europe face aux violences terroristes. Rester ou partir ? À cette époque, les familles religieuses avaient invité leurs membres européens installés dans le pays à le quitter mais certains s’y étaient opposés au point de sacrifier leur vie, souhaitant jusqu’au bout, « partager les conditions difficiles du peuple algérien ».
À l’occasion de sa béatification, entretien avec le frère de Christian, Hubert de Chergé.
Christian serait heureux de savoir que, pour le 8 décembre, « les autorités algériennes vont coopérer pleinement » à cette fête religieuse…
Je pense que c’est très important que la béatification puisse se faire en Algérie et qu’elle soit réalisée par l’Église d’Algérie en symbiose avec le peuple algérien auquel les 19 religieuses et religieux étaient très attachés. Ce peuple qui a tant souffert au cœur de la décennie noire avec 200 000 victimes et des milliers de disparus.
Une béatification célébrée en terre d’Islam dans un climat de respect mutuel entre chrétiens et musulmans
Est-ce « une page qui se tourne afin d’envisager un avenir meilleur » selon les mots du ministre des Affaires religieuses d’Algérie, Mohamed Aïssa ?
Oui, cette béatification revêt un caractère tout à fait particulier car elle est célébrée en terre d’Islam en plein accord avec les Autorités et dans un climat de respect mutuel entre chrétiens et musulmans permettant des contacts en profondeur. C’est un vrai signe d’espérance qui a une portée dépassant largement l’Algérie.
Cette reconnaissance du Vatican, que peut-elle apporter de plus à l’Église de France ?
Dans le contexte actuel marqué par le terrorisme, l’Islam peut apparaître pour beaucoup comme une menace. Le Vatican apporte une reconnaissance de martyrs restés par amour et solidarité, qui se sont enrichis dans leur foi chrétienne dans un grand respect de la religion musulmane et allant même jusqu’à s’enrichir mutuellement de leurs différences.
Et quel message cette reconnaissance envoie-t-elle à l’Église du Lot ?
Je crois que l’expérience vécue à Saint-Michel-de-Bannières est très éclairante. C’est à l’initiative du curé, du maire et du village qu’une souscription, sans en parler à la famille, a été faite pour apposer le 7 janvier 2001 dans l’église en très mauvais état, une belle plaque de marbre sur laquelle est gravé le texte du testament spirituel du père Christian de Chergé, considéré comme un enfant du village. Notre église a aujourd’hui retrouvé sa beauté et ce texte est à l’origine de la belle aventure humaine de sa restauration. Il bouleverse tous ceux qui le lisent, qu’ils soient ou non pratiquants. Il évoque le pardon, l’accueil de l’autre différent et invite à la rencontre.
Christian était-il fier de ses attaches lotoises ?
Enfants, nous aimions nos séjours de vacances à Bannières et les liens chaleureux et très vivants avec le village.
Tout naturellement, lorsque Christian a été ordonné prêtre, il a souhaité célébrer l’une de ses premières messes à l’église de Saint-Michel. Je l’ai moi-même conduit en voiture jusque dans le Lot, en partant le lendemain de la célébration de sa première messe à Paris. C’était très émouvant de le voir célébrer la messe dans l’église où s’étaient mariés nos parents trente ans plus tôt !
Que représentait Saint-Michel-de-Bannières dans son cœur ?
La grange de Bannières était une fondation de l’abbaye cistercienne d’Obazine. C’était pour Christian et pour nous, un signe fort que ce lieu ait été depuis le XIIe siècle placé sous le signe de la prière et du travail. Un travail de la terre qui lui tenait à cœur et qu’il exercera à Tibhirine avec les voisins du village. Il appelait cela « les travaux pratiques d’espérance ».
A Décup Actu Lot
Parmi les 19 martyrs assassinés en Algérie pendant la «décénnie noire» qui seront béatifiés ce samedi à Oran, figurent le «Lotois» Christian de Chergé, prieur de Tibhirine, et Jean Chevillard, père blanc de Tizi Ouzou, oncle de l’actuel curé de Cahors.
La dernière fois qu’il est venu en France, Jean Chevillard a dit à sa famille, «le prochain mort, ce sera moi». Mais la menace n’a pas empêché ce père blanc de 69 ans de retourner à sa mission d’écrivain public au service des habitants de Tizi Ouzou, à 100 km d’Alger. Et le 27 décembre 1994, en pleine décennie noire algérienne, il est tué dans son bureau par des terroristes, comme trois autres religieux. Quels terroristes ? «Aucune idée, on s’occupe peu de ceux qui ont crucifié Jésus !», nous déclare Ronan de Gouvello, petit neveu de Jean Chevillard et curé de Cahors depuis près de trois ans… «la mort l’a ravi mais il avait déjà tout donné à l’Algérie, et il est plus important de savoir que 4 000 musulmans étaient à l’enterrement d’Oncle Jean».
En Tunisie à 16 ans
La béatification des 19 religieuses et religieux catholiques assassinés, ce samedi à Oran (pour laquelle la venue du pape avait un temps été évoquée) n’a pas vocation à «se glorifier de la mort de chrétiens face à des musulmans, mais de célébrer leur mort aux côtés de tant de martyrs algériens» (près de 200 000), dit-on à Rome, où l’on souligne que c’est la première fois que l’Eglise procède à une béatification de martyrs dans un pays musulman.
Avant de partir pour Oran, avec 26 autres membres de la grande famille Chevillard où Jean était surnommé «Père la banane», l’abbé lotois témoigne de l’influence qu’a eu le grand oncle sur sa propre vocation : «Il s’est engagé très tôt, il est parti en Tunisie à 16 ans, il représentait la bonté même, en plus de son sens de l’organisation et de son intelligence.»
Plus que de la tristesse, c’est une émotion teintée de reconnaissance qu’a ressenti le prêtre lotois avant de s’envoler hier pour la cérémonie d’Oran… «Le lendemain, nous irons à Tizi Ouzou, je toucherai sa terre».
La charité, l’organisation et l’intelligence, Christian de Chergé, prieur des moines de Tibhirine, l’avait aussi en partage. Ce cistercien, interprété par Lambert Wilson dans le film «Des Hommes et des Dieux» de Xavier Beauvois, a été enlevé avec six autres moines en mars 1996, tous ont été assassinés deux mois plus tard. Alors que son frère Hubert est aujourd’hui à Oran, c’est dans le nord du Lot, dans la petite église de Saint-Michel de Bannières, «où nos parents se sont mariés et où j’ai accompagné Christian dire sa première messe», raconte Hubert, que la béatification aura des échos aujourd’hui.
L’évêque de Cahors célébrera un office ce soir dans cette église qui recèle le testament spirituel de Christian de Chergé. Un texte empreint de fraternité en guise de reliques.
«Il serait déplacé d’être fier de cette béatification», dit son frère Hubert, frappé par la force du martyr : «Pendant la guerre d’Algérie, Christian avait eu la vie sauvée par un musulman qui a été tué ensuite, il en avait ressenti une blessure terrible. La mort équilibre».
A Tibhirine, une nouvelle communauté catholique a remplacé le prieur et ses compagnons, toujours au service de la population.
le testament de christian de chergé
Sa première messe, Christian de Chergé l’avait célébrée dans la petite église de Saint-Michel de Bannière, où ses parents s’étaient mariés… Aujourd’hui restaurée grâce à l’élan d’une association, la petite église contient, gravé dans le marbre, le testament spirituel du prieur de Tibhirine, enlevé et assassiné avec ses coreligionnaires en 1996. Il y écrit, deux ans avant le drame : «S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui- d’être victime du terrorisme (…) j’aimerais que ma communauté, mon église, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays.»
Pierre Mathieu
La Dépêche