L’État prêt à laisser plus de place au local sur la politique éducative
Mettre en place une « véritable politique de l’école rurale » pour répondre aux attentes d’une jeunesse qui « éprouve des difficultés à s’accomplir » : un colloque organisé le 13 février à l’Assemblée nationale a réuni autour de cette ambition des spécialistes du monde de l’éducation et les ministres de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. L’exécutif serait prêt à laisser davantage la main aux collectivités sur les politiques éducatives, notamment en milieu rural. Même si les regroupements pédagogiques continuent de diviser…
« Il nous faut être positif, ne pas tenir un discours de déclin, sur le mode ‘‘Sauvez-nous’’. Car la manière de parler de ce sujet est essentielle. » En ouvrant, jeudi 13 février 2020, à Paris, le colloque Éducation et Ruralités, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est voulu « optimiste » pour l’école rurale, qui doit devenir un élément d’attractivité pour les territoires. Les échanges ont porté sur l’état de la politique éducative dans les territoires, et surtout, son avenir. « La question de la différenciation scolaire s’impose comme une évidence, il nous faut du ‘‘cousu main’’ », a d’entrée lancé l’organisateur, le député LREM du Lot-et-Garonne Alexandre Freschi, lui-même ancien maire d’une commune de 900 habitants, Castelnau-sur-Gupie. Derrière ces mots, il y avait la demande, pressante, de dispositifs dédiés à des territoires dans lesquels la jeunesse « éprouve aujourd’hui des difficultés à s’accomplir ».
Des jeunes ruraux aux ambitions bridées
Présidente de l’association Chemins d’avenir, qui accompagne des jeunes « issus de la France périphérique », missionnée par le ministre pour rédiger un rapport sur « L’orientation et l’égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes », qu’elle doit remettre d’ici fin février, Salomé Berlioux dresse un portrait sévère des jeunes en zone rurale : en manque d’informations pour envisager leur avenir, de réseau au sens du carnet d’adresses, d’opportunités culturelles et souvent conduits à s’autocensurer quand il s’agit d’afficher leurs ambitions. Ils « sont confrontés à des défis qui ne sont pas traités par une politique publique spécifique, à la différence de l’éducation prioritaire » en ville, regrette-t-elle.
Une réalité décryptée dans une étude de Chemins d’avenir, la Fondation Jean-Jaurès et l’Ifop, titrée « Jeunes des villes, jeunes des champs : la lutte des classes n’est pas finie » , parue en novembre 2019. Ses auteurs y observent une « fracture territoriale qui va s’approfondissant, incitant à réfléchir collectivement aux faiblesses du modèle proposé à des millions de jeunes qui grandissent au cœur des villes petites et moyennes, dans des zones rurales ou des territoires de montagne, et affrontent des obstacles en chaîne à l’heure de construire leur futur ». « Ces jeunes semblent peu à peu sortir de l’angle mort », entrevoient-ils toutefois.
« Définir une stratégie avec les collectivités »
Jean-Michel Blanquer le pense aussi et étaye son propos par sa politique. « Dans les 45 départements les plus ruraux de France, 270 postes d’enseignants seront créés à la rentrée prochaine, alors qu’ils ont perdu 57 000 élèves sur les trois dernières années, détaille-t-il. Voilà qui illustre notre volontarisme. » Il cite encore le programme Ecoles numériques innovantes mené dans 3 570 communes rurales, dont 85% comptent moins de 1 500 habitants, et le plan bibliothèques, destiné aux écoles éloignées de telles structures et mené avec le ministère de la Culture. Par ailleurs, le ministre « s’inscrit en faux contre ceux qui prétendent que l’on déshabillerait Pierre rural pour habiller Paul urbain » afin de financer les réseaux d’éducation prioritaire (REP). « Il y a aussi du REP et du REP + rural, précise-t-il. Et nous faisons du dédoublement de classes de CP et CE1 en milieu rural hors REP, comme dans le département des Ardennes, dans l’Académie de Reims. »
Il évoque encore l’engagement du président de la République, en avril 2019, à ce qu’il n’y ait pas de fermeture d’école sans accord du maire concerné… tout en défendant le concept de regroupement, « si cela engendre du dynamisme ». Un type de reconfiguration qui pourrait aussi concerner des collèges, pour les rendre plus attractifs, car « un collège trop petit peut être un problème pédagogique et éducatif », remarque-t-il. De même, « articuler une école primaire et un collège peut avoir du sens et être très positif pour le territoire concerné », ajoute-t-il. Une perspective qui a fait couler beaucoup d’encre l’an dernier.
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Cette politique éducative rénovée, le ministre entend la mener « dans une logique de partenariat avec les collectivités, les communes ou les départements concernés, pour définir une stratégie partagée ». C’est l’objet des conventions ruralité, « dans la lignée de ce qui avait été amorcé par le gouvernement précédent, mais elles vont être amplifiées, quantitativement et qualitativement », souligne-t-il.
« A quelques mètres près, vous en êtes ou vous n’en êtes pas »
Coauteur, avec l’inspectrice générale de l’Éducation nationale Ariane Azéma, d’un rapport, Territoires et réussite, rendu public en novembre 2019 , visant à réfléchir à un élargissement de la politique d’éducation prioritaire initiée sous le quinquennat Hollande, le directeur de Sciences Po Lille Pierre Mathiot ne veut pas opposer mondes rural et urbain, ni leurs jeunesses respectives. « La première subit une distance territoriale, la seconde, une distance sociale et culturelle », résume-t-il.
Le politologue propose de casser un système binaire, selon lequel « A quelques mètres près, vous en êtes ou vous n’en êtes pas. » Il suggère de « donner plus la main qu’aujourd’hui » aux échelons déconcentrés de l’État, les académies, et de « favoriser leurs relations avec les collectivités locales », pour mettre fin à un « hiatus » entre les deux. Afin, illustre-t-il, de ne plus voir « un élu local inaugurer un établissement à la pointe de l’informatique, mais où le prof utilise une craie faute d’avoir été formé à l’utilisation des tableaux numériques… » Il plaide ainsi pour « une vraie déconcentration et une décentralisation, pour permettre une coproduction des politiques éducatives ». Celles-ci devant mieux prendre en compte la diversité territoriale.
« Ne pas apporter des solutions venues d’en haut »
Inspectrice générale de l’Éducation nationale, coauteure de l’étude Mission ruralité publiée en juillet 2018 , Marie-Blanche Mauhourat insiste, de même, sur la nécessité, « après s’être donné un cadrage comme élément fédérateur, de donner de la souplesse aux politiques publiques, afin de tenir compte des différences, entre les territoires ruraux péri-urbains, ceux essentiellement agricoles, ceux désindustrialisés, etc. »
« Il ne s’agit pas d’apporter des solutions venues d’en haut, mais de conforter les initiatives locales qui réussissent », poursuit la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, porteuse d’un projet de loi en cours d’élaboration baptisé 3D, pour décentralisation, différenciation et déconcentration. Parce que l’Etat doit « accepter qu’une politique publique s’exerce de manière différente entre territoires urbain et rural, bordant une agglomération ou pas, de montagne ou de plaine, très urbanisé ou moins urbanisé », elle défend le « droit à l’expérimentation, qui permet d’agir au plus près du terrain ». Une possibilité justement offerte par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans ses articles 38 et 39.
Une affaire de curseur
Mais si Jean-Michel Blanquer entend « s’appuyer » sur les rapports Mathiot/Azéma et Berlioux pour concevoir « une véritable politique de l’école rurale, qui ne soit pas une duplication des dispositifs d’éducation prioritaire » existant principalement en milieu urbain, il n’en dit pas plus. En particulier, sur la part que l’État consentira à laisser aux collectivités territoriales. « La France a toujours été un mélange de Jacobins et de Girondins, et il faut trouver un équilibre », a conclu Jacqueline Gourault. Les élus locaux sont impatients de savoir où le gouvernement placera le curseur.
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