Marie Tanguy de Gigouzac écrit sur la campagne d’E. Macron
En 2017, Marie Tanguy a écrit pendant deux mois et demi pour Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle. Originaire du petit village de Gigouzac dans le Lot (190 habitants), elle s’est retrouvée dans un modeste bureau parisien de 11m² à écrire pendant des heures interminables les discours du futur Président. Un local bordélique bien éloigné de ses collines lotoises et de son mas familial.
Après une scolarité au lycée Notre-Dame de Cahors, Marie intègre Sciences-Po Paris, poussée par ses professeurs de lycée. Elle décroche ensuite un premier job de plume pour la CFDT où elle restera pendant trois ans. À cette époque, elle s’encarte « brièvement » au PS, elle croit à la gauche, elle croit en Macron. Alors quand un poste se libère au sein de son équipe de campagne, Marie fonce.
« La gauche que j’aime renaît en politique, c’est l’héritier de Rocard, je dois en être, je veux en être », nous confie-t-elle. Elle en est. L’expérience, éreintante, dure 2 mois et demi. Le rêve tourne au cauchemar : Marie démissionne, en plein burn-out, juste avant le premier tour. À 33 ans, elle raconte son expérience dans le livre Confusions, qui sort aujourd’hui, après être resté trois ans et demi dans le tiroir de la Lotoise.
Pourquoi avoir choisi Emmanuel Macron plutôt que la CFDT où vous aviez trouvé votre place ?
Les mots de Macron me parlaient : l’émancipation, rendre le pouvoir à ceux qui veulent faire et font, le numérique, l’écologie. J’y voyais des similitudes avec les idées de la CFDT. Je pensais que l’exercice serait similaire. À l’époque, Macron donne l’illusion, beaucoup de Français projettent ce qu’ils recherchent en lui. Moi aussi, j’y croyais.
À partir de quel moment avez-vous arrêté d’y croire ?
Dès le début, j’ai eu le sentiment d’arriver dans un milieu qui ne me ressemblait pas. L’équipe était très homogène, constituée presque uniquement d’hommes, diplômés, issus de bonnes familles. Je viens d’un milieu social modeste. Je n’ai pas le caractère endurant, performant, viril finalement. Je ne me sentais pas à ma place et je me rendais compte que sur les idées je m’étais trompée. Très vite, je me suis sentie très mal. Je me suis renfermée. Puis j’ai été désillusionnée. Déçue qu’il ait utilisé les valeurs de la gauche, il les a galvaudées et trahies. Je m’en suis voulu d’avoir été naïve, de n’avoir pas vu plus tôt que c’était du flan, le Macronisme et cette campagne, c’était de l’enfumage. Assez vite, je me suis désengagée émotionnellement des discours que j’écrivais.
« Au fil du temps, je compris que le candidat antisystème réservait ses attaques à la classe politique, à laquelle il n’appartenait pas, mais qu’il n’avait pas l’intention de toucher aux privilèges de la classe économique dirigeante. »
Vos journées ont un rythme infernal qui précipite votre burn-out…
J’arrive à 10 heures le matin mais je ne repars jamais avant minuit et ce, sept jours sur sept. Je rentre souvent en Uber chez moi seule, la nuit. Mes journées sont dans un autre espace-temps, on est dans ce bureau minuscule, on est plusieurs, on y reste des heures. On dort peu, on mange de façon aléatoire. L’environnement de travail était délirant. On se rend compte qu’on vit un moment d’histoire et en même temps on vit aussi des choses absurdes, il y a eu des moments où je me suis quand même bien marrée. Le reste du temps, on écrivait, puis on corrigeait, puis on réécrivait. Les discours n’étaient jamais lus tels quels par Macron.
Emmanuel Macron n’est jamais nommé dans votre livre. Il est « le candidat » ou EM. Pourquoi ?
Il est vite devenu EM comme le langage technocrate qu’on utilisait. Je dis aussi « le candidat » car j’avais du détachement, c’est devenu un personnage à l’arrière-plan de mon quotidien, je parle de lui sans en parler, ce n’est pas un personnage de mon livre. De même, Brigitte Macron apparaît aussi en fond. Je ne l’ai vu que quelques fois mais elle s’intéresse sincèrement aux gens, elle est positive.
« En Brigitte, je devinais une femme heureuse de vivre, battante, spontanée, qui devait consacrer beaucoup d’énergie à encourager les autres et à les pousser à se dépasser. »
Confusions est un pamphlet contre la politique d’Emmanuel Macron ?
Non, ce n’est pas l’intention. J’ai essayé de poser une observation sur quelque chose que je venais de vivre. Un texte d’abord intime avec une désillusion et de la colère en arrière-fond. Je n’ai pas voulu en faire un commentaire politique ni nuire à son image.
Une campagne « désorganisée », qui manque d' »expérience » et « d’humanité ». Vous avez pourtant des mots durs…
On n’a pas le temps de se faire des gentillesses sur une campagne, il faut aller très vite, je ne peux pas en vouloir aux membres de l’équipe. Eux-mêmes ont été surpris que la sauce prenne à ce point, l’aventure Macron, au début, c’est une poignée de personnes, ensuite, c’est l’alignement des planètes avec l’élimination de Fillon au premier tour, Bayrou qui ne se présente finalement pas et s’allie à Macron etc. Il y avait une forme de désorganisation. Les campagnes adossées à des partis déjà très structurés ont le confort de se reposer sur ce savoir-faire. Dans l’équipe de Macron, beaucoup ont vécu leur première campagne.
« Pendant deux mois, j’ai vécu des moments de panique, d’humiliation, d’accablement. J’ai voulu mille fois disparaître, et autant de fois j’ai cru que ma vie était finie. »
Vous trouvez aussi que le programme est « déconnecté » de la réalité. Et vous pensez alors à votre mère, isolée, dans le Lot…
Oui parce que ma mère c’est la vie ordinaire, les gens simples qui attendent que la politique transforme la vie. J’ai beaucoup pensé à elle car elle symbolise l’écart qu’il y avait entre mon origine et le bureau où je me trouvais. Elle vit seule dans un petit village, ce n’est pas rien. Ce qui me troublait dans l’équipe c’était toute cette intelligence, cet engagement et d’un autre côté, la déconnexion des réalités et le désintérêt pour les classes modestes.
La politique, plus jamais ?
Non, ce n’est pas fait pour moi. Il y a des personnalités et des caractères adaptés à ce milieu, qui ont le sens du combat. Je suis devenue plus méfiante sur les programmes électoraux, il en faudrait beaucoup pour me convaincre aujourd’hui. L’engagement n’est pas fait pour moi. J’ai complètement changé de métier aujourd’hui, toujours à Paris et j’en suis très heureuse.
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