Massou l’artiste sauvage de Marminiac est mort
Jean-Marie Massou était un homme sauvage, pas un sauvageon.
Le message et les trésors qu’il laisse au cœur des cavités, des puits et du gouffre qu’il a creusé seul dans la forêt de Marminiac, dans le Lot, nous emmènent vers un autre monde, un ailleurs qui le faisait rêver. L’artiste vient de rendre l’âme. Mais son art est bien vivant et immense dans cette nature qu’il n’a jamais dénaturée tout en la magnifiant. Découverte du formidable héritage de Massou dans le silence de sa forêt qui sait tout de lui.
Il est mort comme il a vécu : seul et dans le silence de son art que l’ont dit primitif. Un art à part, plein de sens et de symboles. Un art sous-terrain dans un monde surréaliste compléteront certains. Apocalyptique ajouteront d’autres. Ils se tromperont dans ce jugement hâtif. Pour mieux comprendre le message qu’a voulu laisser cet homme sauvage au sens noble et pur du terme, il faut s’immerger dans son univers naturel. La forêt.
Jean-Marie Massou vient de la terre. Il a vécu dans les bois et retourne en terre ce mercredi 3 juin au cimetière de Marminiac où il sera enterré à 16 heures. Il a vécu avec sa mère jusqu’à l’année 1998 puis tout seul, indompté, indomptable. Libre comme l’art.
Il est mort à 70 ans. Nous avions retrouvé sa trace quatre jours avant son décès et devions le rencontrer vendredi dernier. Il s’est éteint la veille.
C’est André Bargues, l’ancien maire de Marminiac, notre contact et notre guide pour ce rendez-vous dans le monde de Massou, qui a découvert son corps inerte affaissé au pied de son lit.
« Je le connais depuis les années 70. Jean-Marie est originaire de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne). Je le voyais régulièrement. Mais beaucoup moins depuis 6 ans. Il se plaignait de douleurs à la poitrine et au ventre ces derniers temps. Il ne souhaitait jamais se faire hospitaliser, mais recevait la visite du docteur Sadek » explique-t-il. Le médecin, ainsi que Rachel French, nouvelle maire du village, accompagnaient André Bargues lors de cette macabre découverte. André Bargues, l’ami de toujours, est ému.
Un gouffre en pleine forêt
Pour lui, Jean-Marie Massou était loin d’être un illuminé dans son univers sauvage où il était déterminé à poursuivre son œuvre pour livrer un message fort. Sa passion c’était les pierres qu’il trouvait extraordinaires. Les pierres bleues.
« Il en a ramené des tonnes et des tonnes avec son tracteur. Il sculptait les pierres. Il a aussi eu envie de creuser et d’ouvrir des galeries, puis des grottes et aussi bâtir une pyramide. Ce sont, avec son gouffre, des créations titanesques. Il m’expliquait que tant qu’il pouvait creuser dans la terre, c’est qu’il y avait eu un passage » souligne André Bargues.
« En fait, à chaque galerie, puits ou gouffre, Massou considérait qu’il remettait à jour un passage, une ouverture vers un monde meilleur, parfois mystique, mystérieux ou carrément extraterrestre. Il recherchait et rêvait d’un monde sans violence. La nature lui offrait cette opportunité » poursuit l’ancien maire.
Un artiste inclassable
Difficile d’évaluer la valeur des œuvres de Jean-Marie Massou. Aucun expert ne s’y est vraiment penché jusqu’à présent. Le nombre d’heures passées pour la réalisation de ses mystérieux passages sous terre a de quoi impressionner.
En 2010, le réalisateur Antoine Boutet a consacré un documentaire intitulé Le Plein Pays pour parler du travail magistral de Massou, puis de sa personnalité d’homme sauvage et de sage à sa façon.
Jean-Marie Massou a aussi enregistré avec Olivier Brisson le disque Sodorome. Ses sculptures où l’on peut deviner des visages ainsi qu’une nef au-dessus de la porte de ce qu’il reste de sa ferme et d’autres créations dignes d’intérêt méritent une véritable expertise.
L’art primitif est omniprésent dans son travail. Mais que signifient certains symboles et écritures. Où cet artiste, finalement inclassable, a-t-il vu de tels signes?
Fasciné par l’univers de Disney
Outre ses créations naturelles sur un vaste périmètre interdit d’accès, Massou a laissé des mots et des phrases qui décrivent son spleen, mais aussi sa volonté. La procréation l’inquiétait. Beaucoup ont dit que Massou était misogyne. Faux!
« Il est grand temps d’arrêter de procréer, mieux vaut adopter. L’apocalypse est bientôt là. Nous sommes plusieurs milliards sur cette terre. Les enfants, c’est fini. Ils n’ont plus d’avenir. Plus de travail. L’ozone décortiqué, le soleil blanc qui commence, plus aucun avenir à attendre. Si vous voulez faire l’amour, embrassez-vous dans une glace ou alors prenez la photo d’une copine » a-t-il déclaré à son ami André Bargues. Fascinant!
Massou était attiré par le monde merveilleux de l’enfance. Celle qu’il n’a pas eue. « Il a vécu une enfance particulièrement difficile. André lui portait parfois des DVD de dessins animés. Jean-Marie adorait La Belle au bois dormant et tout l’univers de Disney » se souvient Rachel French.
L’avenir le glaçait. Il y voyait la mort et voulait prendre une autre direction dans ses galeries. Massou rêvait d’aller vers un ailleurs plus serein. Y est-il parvenu? Peut-être. Si La Belle au bois dormant a réveillé son instinct d’enfant, il trouvera le chemin qui l’apaisera.
Un site dangereux interdit au public
En immersion dans le monde de Jean-Marie Massou, au fond des bois, il est aisé de comprendre que l’accès jusqu’à chacune de ses étonnantes galeries est un véritable périple où les bonnes surprises comme le danger se trouvent à chaque pas.
Les cavités et les galeries souterraines sont nombreuses, recouvertes de feuilles mortes et de branches pour la plupart.
Le territoire de cet artiste hors normes est un véritable gruyère.
Jean-Marie Massou n’a pas voulu faire des pièges en recouvrant des failles. Il a juste souhaité préserver son œuvre, empêcher la découverte de plusieurs galeries peut-être. Plusieurs d’entre elles sont inachevées.
On suppose qu’il a rencontré quelques problèmes légitimes pour acheminer des pierres aussi lourdes aussi loin.
« Son vieux tracteur l’y aidait parfois, mais il a accompli l’essentiel de ce travail gigantesque avec ses seules mains, une force inouïe et beaucoup de volonté. On s’interrogera toujours sur la façon dont il y est parvenu. Il ne nous a pas tout dit » soupire André Bargues.
« S’aventurer dans ces bois, c’est risquer sa vie »
Que deviendra ce site caché derrière les arbres à Marminiac? La pyramide, les pierres sculptées, le gouffre? La maire de ce village de 374 âmes y réfléchit très sérieusement.
« Il faut bien sûr préserver l’œuvre authentique de Jean-Marie Massou et éviter toute forme de pillage ou de destruction. Mais ma principale préoccupation, pour l’instant, c’est d’éviter toute incursion sur le site. C’est très dangereux. On voit bien qu’il y a des failles partout, surmontées de voûtes. Ces dernières sont très instables. Elles peuvent s’affaisser, s’écrouler et entraîner la mort des curieux qui se seront hasardés sur ce secteur. Son accès est strictement interdit. J’ai pris un arrêté municipal stipulant bien cette interdiction. S’aventurer dans ces bois, c’est risquer sa vie » insiste Rachel French.
Comme un immense musée à ciel ouvert
L’élue locale s’est rendue sur le territoire de Massou dans le cadre de cette immersion particulière et pour rendre, d’une certaine manière un hommage à l’artiste dont le musée à ciel ouvert livrera sans doute d’autres secrets. On retient son souffle devant le gouffre qui demeure incontestablement le clou du spectacle.
Comment un homme seul a-t-il pu se lancer dans une telle besogne herculéenne? André Bargues et Rachel French se posent cette question récurrente sans obtenir de réponse.
Jean-Marie Massou survivait grâce à l’allocation d’adulte handicapé (AHH) dans une ancienne ferme dévorée par la végétation. Il avait l’électricité. L’eau lui parvenait par un simple tuyau. Il se contentait seulement de ça dans son monde à lui au milieu de sa forêt.
Parfois, il dormait à la belle étoile ou dans cette ruine (notre photo) envahie par la végétation comme l’était sa ferme. Cet artiste qui aura marqué le Lot faisait corps avec la nature. C’était son seul décor. Sa vie à l’état sauvage où il exprimait pleinement ses états d’âme.
Je ne connaissais l’existence ni de Jean-Marie Massou ni de son oeuvre. L’art brut interpelle et attire. A ceux qui partagent cette attirance je conseille la visite de « la Fabuloserie », un musée d’art « hors-les-normes » situé à Dicy dans l’Yonne. Merci pour cet article sensible et bien écrit.