Molières: une école privée pour sauver celle du village

Dans le Lot, des parents d’élèves ont monté une école privée pour sauver celle du village, condamnée par l’Inspection académique. Depuis, la population augmente.

À Molières, dans le Lot, l’école a bien failli être rayée de la carte. Un crève-cœur pour les 380 habitants de ce petit village du Ségala. Par «faute d’effectifs» aux yeux de l’Inspection académique, la petite école rurale du RPI (regroupement pédagogique intercommunal) qui réunissait une vingtaine d’enfants devait fermer définitivement en juin 2017. Mais les parents d’élèves l’ont sauvée, en seulement quelques mois. Depuis, une dizaine d’élèves suivent désormais la classe, dans les mêmes locaux que l’ancienne école, laissée gratuitement à disposition par la mairie. Là où le vieux tilleul qui surplombe la cour de récréation a déjà laissé des souvenirs à bien des générations.

Avec ses rues minuscules, ses volets qui ouvrent sur la cour du voisin, Molières est agencé comme une maison de poupées. Claude, 82 ans, vit dans une grande maison en pierres en face de l’école. «Le bruit m’aurait manqué», imagine-t-il, lui qui ouvre sa fenêtre tous les matins et entend les enfants dans la cour.

Pourtant ce bruit, il a bien failli ne plus l’entendre. Alors qu’à la rentrée 2017, les parents d’élèves décident de reprendre l’école maternelle sous l’association «Les Pitchouns», le dossier coince au niveau des services de l’Inspection académique, notamment parce que l’institutrice recrutée à l’époque par les parents n’a pas encore le Capes. «Ce n’était pas l’idéal, c’était même une solution trouvée dans l’urgence», s’excuse à moitié Stéphanie Cantaloube, la présidente de l’association. L’établissement va devenir privé et hors contrat avec l’éducation nationale mais, fait rare, l’école reste gratuite. Toutes les autorisations sont données et une subvention est votée au conseil municipal. Elle ne sera jamais attribuée, hors de question : «La loi interdit que les écoles privées hors contrat avec l’éducation nationale ne reçoivent le moindre argent public», souligne Jérôme Filippini, le préfet du Lot.

La disparition «du dernier service public dans un village», ne justifie pas, selon lui que «les parents s’improvisent enseignants du jour au lendemain». L’académie ne voit pas d’un meilleur œil cette nouvelle école.

Les jeunes couples s’installent

Pour Xavier Papillon, le directeur académique du Lot, l’offre scolaire publique dans le département est déjà bien étoffée. En plus d’être payantes, les écoles privées «ne sont pas tenues de suivre les programmes officiels et sont libres dans le choix de leurs méthodes pédagogiques», met-il en garde. Les parents d’élèves parlent «d’intimidation de la part des services de l’Etat».

Ils racontent d’ailleurs que les inspecteurs ont rendu des rapports salés : «garderie bienveillante», «enseignement au rabais»… Les familles ont tenu bon. L’enseignante a été payée grâce aux dons des habitants, à une cagnotte en ligne et à des manifestations organisées dans le village.

La pédagogie n’est ni Montessori, ni de la méthode Freinet. «Il n’y a aucun parti pris, les journées sont découpées selon l’emploi du temps traditionnel : comptine, lecture, jeux, éveil à la gym…», assure Céline, la nouvelle enseignante, diplômée de l’Education nationale. Les parents n’ont jamais réclamé de pédagogie alternative, seulement une école pour leurs enfants. Molières aurait eu tort de s’en priver : grâce à la maternelle, elle connaît une augmentation de sa population. Des couples de jeunes parents sont venus s’installer en bordure du village où ils ont racheté des maisons. L’Institut médical Camille Miret à Leyme, à trois kilomètres, est un vecteur d’emploi. Près de 1 000 salariés travaillent en moyenne sur le site. Originaire de Bordeaux, Alexandre est boulanger dans le commerce multimodal, au centre du bourg. Sa fille est scolarisée à l’école de Molières. «Je me suis installé à la campagne pour le confort de vie, pas pour retrouver ma fille dans une classe surchargée», confie-t-il. L’école la plus proche se situe à Leyme. Mais là, les préfabriqués ont eu raison d’un vieux tilleul.


À la campagne, des écoles privées faute de mieux

En Occitanie comme en France, le phénomène, présent dans les zones rurales, reste assez rare. Des écoles privées qui se substituent aux écoles publiques, on en compte sur les doigts d’une main dans la région. À Préchac-sur-Adour dans le Gers, les parents d’élèves ont repris l’école du village grâce à leur association, en octobre 2018. Ici c’est le RPI tout entier qui était menacé de fermeture, soit 60 places. Seule l’école de Préchac a résisté, est devenue privée, hors-contrat avec l’éducation nationale et propose 19 places. Mais elle est aussi, par conséquent, payante. La pédagogie est dite «démocratique». «L’école démocratique est une façon d’enseigner qui vaut celle de l’école de la République, je n’ai pas d’état d’âme par rapport à cette pédagogie», admet Marie-Martine Adler, la maire. «On observe que de plus en plus d’alternatives doivent se mettre en place quand l’éducation nationale déserte», regrette Muriel Dereymez, membre de l’association. Car l’inscription a un coût : compter de 120 à 180 € par mois et par enfant. Dans le Lot, des projets ont émergé comme à Roufilhac. Mais l’ambition portée par l’association «Girafe» est entre parenthèses. Pour reprendre l’école publique qui a fermé en juillet, l’équipe de parents d’élèves peine à recruter un directeur. Résultat : l’école est fermée depuis la rentrée. «Les services publics désertent les villages ruraux», regrette Robert Lacombe, le maire. L’édile qui n’a pas le droit de verser une subvention à cette association privée, a les poings et mains liés. Qui d’autres que les habitants pour se substituer au service public quand les élus sont impuissants ? Les parents risquent pourtant d’avoir la tâche d’autant plus compliquée. Car les règles ont changé depuis la loi Gatel, votée le 29 mars 2018. Pour lutter contre la radicalisation dans certaines écoles privées, le texte de loi durcit les conditions d’ouverture. L’État peut désormais s’opposer plus facilement à la création d’une école privée. Par ailleurs, les directeurs devront avoir enseigné au moins cinq ans en tant que professeur ou surveillant dans un établissement du second degré.