Noël est arrivé
Noël, c’est la joie de fêter ensemble ce qui s’est oeuvré pendant l’année, en vue de contribuer à la naissance d’un nouvel avenir.
Roberte avait écrit une lettre aux cousins pour prévenir de leur arrivée. Elle n’aimait pas cette mode de communication impersonnelle qu’était le téléphone. Elle avait conservé le bonheur d’envoyer et de recevoir un courrier et était persuadée qu’il en était de même pour sa famille. Ils ne s’étaient pas vus depuis cinq ans, période à laquelle ils étaient venus visiter Paris et en avaient profité pour leur rendre visite. Elle se souvenait des moments agréables, des discussions autour de la table où coulait le meilleur vin de leur cave. Ils avaient beaucoup ri, se remémorant les anecdotes des grands parents, les jeux dans la campagne, les fêtes de village…
Aujourd’hui, plus que deux cent kilomètres les séparaient et elle était pressée de les retrouver. Limoges, Brives la gaillarde, Cahors… Ils approchaient, bientôt la sortie de l’autoroute et les routes sinueuses de la campagne Lotoise. Ils se rendaient en Bouriane, près de Gourdon, dans un petit village éloigné de tout. Pour des citadins, comme eux, ça semblait incroyable d’être isolés comme ça, ils en avaient perdu l’habitude, ayant tout à portée de main.
Le fourgon avait des difficultés à monter les cotes et le moteur criait à chaque fois que Robert rétrogradait. Roberte avait agrippé la poignée au-dessus de la porte et s’accrochait tant bien que mal dans les virages.
« Serre la droite Robert !… mais serre, tu vois bien qu’ils roulent tous à gauche ! … Tu vas finir par t’en prendre un ! »
Robert était tendu, il s’était redressé et tenait son volant à deux mains. Ils ne se souvenait pas d’avoir conduit sur des routes aussi accidentées. Dans la banlieue, tout était droit et plat.
« Tais-toi, tu m’énerves !!! Je fais ce que je peux… C’est toi aussi qui m’a fait tourner à la sortie de Gourdon ! Je suis sûr qu’il y avait un trajet plus carrossable avec des voies plus larges ! Si on croise un tracteur on est foutus, je peux pas me serrer, à droite c’est le vide ! Mais qu’est-ce qu’on est venu faire dans cette galère !!!».
Enfin, la route s’élargissait, ils arrivaient. Ils virent le panneau du village, mais ils savaient que les cousins étaient dans un lieu-dit. Ils n’étaient pas encore arrivés. Ils se souvenaient qu’il fallait prendre la direction de Lavercantière, mais tout avait changé depuis l’époque. Ils ne reconnaissaient rien. Il y avait des constructions neuves, des granges modernes avec des panneaux photovoltaïques, les balles de paille n’étaient plus comme avant, mais emballées dans du plastique…
Au bout d’une longue voie communale en castine, ils aperçurent enfin la ferme des cousins… Ouf !
Le cousin Georges les attendait, il coupait du bois en profitant du soleil pour préparer quelques bûches qui iraient rejoindre les autres dans la remise.
Le bruit du fourgon l’avait stoppé dans son élan. « Tiens donc! Voilà les Roberts… » avait il crié à Denise, en train d’éplucher les légumes qui allaient regagner un bon morceau de gîte en train de mijoter tranquillement sur la cuisinière.
Lorsqu’elle comprit que Georges l’alertait, elle fit ni une, ni deux, laissant tout en plan, pour se précipiter sur le perron.
Les embrassades n’en finissaient pas, le chien aboyait, le chat miaulait, les poules caquetaient, un vrai concert… « quel accueil ! Nous sommes tellement content de vous revoir, ça faisait si longtemps ! »
« Entrez! Entrez! Il ne fait pas chaud dehors, mettez vous près de la cheminée, vous devez être fatigués après ce long voyage, installez vous, j’ai préparé du café»
Denise parlait vite, elle était toute excitée par cette visite, tout son passé lui revenait, elle avait eu un petit béguin pour Robert autrefois et les papillons qu’elle ressentait dans son ventre ne s’étaient pas envolés.
Heureusement, elle avait rencontré Georges qui l’adorait.
Les Roberts étaient tout sourire, rien n’avait changé depuis leur dernière visite, un accueil chaleureux, une ferme bien entretenue, de la simplicité, du vivant, tout ce qu’ils avaient connu autrefois et qui leur manquaient terriblement.
Après s’être rendu chez Georges et Denise. Ils allèrent rendre visite à leur cousine Toinette et sa mère Lucie. Ils n’avaient pas quitté leur tante en bon terme, il y avait eu de l’eau dans le gaz comme on dit. Quelques différents, dirons nous, une histoire d’héritage, Lucie s’était sentie défavorisée, ni Georges, ni Denise n’y était pour quelque chose, mais la rancoeur dans les familles ne connaît pas de limite, elle peut durer des générations, comme si elle ne pouvait pas s’éteindre.
Georges appréciait sa cousine Toinette, c’était tout ce qui comptait.
Elle s’était affirmée dans son travail et dans ses relations amoureuses.
Elle avait été une des premières femmes, à expérimenter le bio et la permaculture, elle avait compris avant les autres que cultiver la terre avait un sens, que la terre ne pouvait pas endurer des pratiques agressives et irrespectueuses, qu’elle était une matière vivante.
Elle n’était pas seule, bien sûr, il y avait des idées qui circulaient, mais le temps de l’expérimentation était long et encore plus long celui de faire découvrir aux autres le changement possible.
Robert et Roberte n’étaient pas insensibles à la démarche de leur cousine, lorsque leur quartier avait été en plein naufrage, ils n’avaient pas perdu le cap, bien au contraire, leur bistrot avait été une bouée de sauvetage pour tous ceux qui s’étaient retrouvés au chômage, pour les jeunes qui s’étaient sentis désœuvrés, leur présence avait été d’un grand secours.
C’était tout cela qui comptait pendant les réunions de famille où tout le monde se souhaitait Joyeux Noël.
C’était la joie de fêter ensemble tout ce qui s’était oeuvré pendant l’année, en vue de contribuer à la naissance d’un nouvel avenir.