Photovoltaïque : aubaine ou arnaque pour les agriculteurs ?

crédit photo : Romain Longieras / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

C’est une prairie où ne broutent plus les vaches. Un vallon discret, entouré de bois, et de quelques maisons. Autrefois, des Salers ruminaient sur ce bout de terre ensoleillé, dont l’herbe pèle vite en été. Les bêtes ont changé d’enclos. Ainsi va la vie, à la Tour Blanche. Car le paysage pourrait bientôt changer… Et pour longtemps. Dans quelques mois, une centrale photovoltaïque de huit hectares fera son apparition dans cette petite bourgade de Dordogne. À l’endroit où broutait anciennement le troupeau, des dizaines de panneaux solaires produiront de l’électricité pour alimenter l’équivalent de 2 500 foyers en énergie, hors eau et chauffage.

C’est un fait, les énergies renouvelables font leur chemin à la campagne. Depuis quelques années, de plus en plus d’agriculteurs acceptent de mettre à disposition leurs terrains, ou leurs étables, pour y disposer des panneaux solaires. Pour leur propre consommation d’énergie, ou pour s’assurer d’un foncier plus rentable, les propriétaires de terrains agricoles se laissent tenter par « l’agrivoltaïsme ». Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au moins 13 % de l’énergie solaire produite en France serait déjà issue du monde rural. Essentiellement sur des toits de bâtiments techniques et agricoles.

Une pratique qui divise

Mais les choses pourraient encore s’accélérer dans les prochaines années. Car la filière manque d’espace. D’après le magazine Reporterre, les investisseurs chercheraient même à conquérir de nouvelles surfaces dans les champs. Autrefois réservée aux terrains dégradés – anciennes carrières, aérodromes, ou sites d’enfouissement –, l’énergie solaire pourrait désormais s’inviter à la campagne. Il faut dire que les objectifs par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sont ambitieux. D’ici sept ans, la puissance installée devra avoir été multipliée par quatre…

Alors, qu’en pensent les premiers concernés ? Il est vrai que la pratique divise jusque dans la profession. Au mois de janvier, la FNSEA et l’Assemblée générale des Chambres d’agriculture publiaient une charte qui appelait à respecter les « bonnes pratiques » en matière d’investissement photovoltaïque. Les syndicats s’inquiètent que des terres « perdent leur vocation agricole ». « Il y a effectivement un débat sur ce qu’est l’agrivoltaïsme et comment l’encadrer », résume Nicolas Tonnet, qui mène actuellement une étude pour l’Ademe, afin de mieux poser un cadre légal à cette pratique.

« Sauver les terres de la déprise agricole  »

« Car il existe un risque, c’est que les agriculteurs se fassent démarcher par des sociétés et acceptent des projets qui ne répondent pas réellement à leurs besoins », complète Nicolas Tonnet. Des arguments qui ne font pas l’unanimité, cependant. « C’est vrai, la corporation et les syndicats m’ont mis des bâtons dans les roues au début », concède Patrick Busselet, « il a fallu apprendre à être diplomate et à écouter tout le monde ». Mais il faut comprendre, selon lui, les agriculteurs qui ont fait ce choix en toute indépendance.

Le parc de la Tour Blanche, c’est lui qui en aura été le promoteur, ou « l’élément moteur », comme il préfère dire. Dix ans qu’il se démène auprès de la préfecture pour faire accepter son idée dans le coin. Cette décision, ce fils et petit-fils d’éleveur l’a prise pour ses terres. Pour les « sauver de la déprise agricole », insiste-t-il, « car si l’on ne ramène pas d’activité à la campagne, elle meurt, c’est inévitable ». Alors qu’il visite le chantier, au mois d’avril, l’éleveur se penche pour ramasser un bout de terrain. La terre s’effrite entre ses doigts. « C’est un sol où rien ne pousse », montre-t-il. La faute, selon lui, à une « trop faible valeur agronomique » de cette terre calcaire.

Revente à des coopératives

À l’approche de la retraite, la centrale lui donnera un moyen d’assurer ses vieux jours. « Avec une centaine de bêtes, et plus de trente ans de métier, il était temps pour moi de lever un peu le pied », admet-il. Et puis, les premiers soucis de santé sont apparus. À cinquante-quatre ans, la location du terrain lui rapportera entre 1 000 et 1 500 euros de loyer par hectare. En échange, il met à disposition son champ d’exploitant pour plusieurs années. Mais attention, à une condition, que l’énergie produite soit « verte ». Et « bio », comme la viande, les noix, et le fourrage qu’il produit chez lui, à Lusignac.

À la Tour Blanche, il n’y aura pas eu besoin de déclasser de terres agricoles. Car un couple d’éleveurs continuera de s’occuper des moutons au milieu des panneaux. Ils toucheront, eux aussi, un salaire pour l’entretien du site en « éco-pâturage », comme présenté dans le contrat. À partir de cet été, la centrale de la Tour Blanche sera raccordée au réseau par Valorem, l’entreprise qui assure la construction et l’exploitation du site. L’électricité qui en sortira sera ensuite revendue à plusieurs coopératives, dont Enercoop, à moins de 0,10 € du kWh. Soit moins chère que l’électricité du futur réacteur nucléaire de Flamanville (environ 0,13€ du kwh).

Un prix compétitif pour une installation privée de cette taille, qui n’a bénéficié d’aucun centime de l’État, ni pour sa construction, ni pour son entretien.  « C’est ce qu’on appelle un PPA (Power Purchase Agreement). En quelques années, on a réussi à réduire de dix fois le prix de l’énergie solaire à la consommation », explique Florian Fillon, chez Valorem, qui a accompagné le projet de Patrick à ses débuts. « Le fournisseur va directement chercher ses clients pour financer son projet. Avec ce système, il est possible que l’on atteigne les 4 à 5 centimes du kilowattheure dans quelques années à peine, selon les surfaces », explique-t-il.

De quoi faire réfléchir alors que les premiers panneaux arrivent sur le chantier. S’ils sont importés de Chine, il faudra 28 mois, selon l’ingénieur, pour que l’usine paie sa dette énergétique. Sera-t-il un jour possible de produire sur place ? Le marché est encore loin du compte, mais plusieurs entreprises françaises, comme Sun’R, ont déjà investi le terrain, proposant aux agriculteurs des serres photovoltaïques ou des ombrières pour leurs cultures.
Une technologie à surveiller, alors que le gel et les aléas climatiques ont largement dévasté les cultures de vigne et d’arbres fruitiers au printemps. « Et si l’on ne s’adapte pas, dans ce métier, conclut Patrick Busselet, je peux vous l’assurer, on finira toujours par se prendre de sacrées gamelles… ».

En attendant de voir des serres dynamiques suivre le soleil, comme les tournesols, le maire de la Tour Blanche, Daniel Bonnefond, conseiller agricole de profession, préfère raison garder et ne pas s’emballer avant l’heure. « Les gens de nos villages sont assez pragmatiques pour comprendre qu’il vaut mieux mettre des panneaux solaires sur un terrain plutôt que faire pousser des maïs et d’y gaspiller toute son eau », note-t-il. Ainsi, le projet a été bien accueilli dans le village, où il ramènera 15.000 euros de retombées fiscales, en moyenne, à la communauté de communes. « Mais il ne faut pas perdre de vue que la terre agricole est faite pour produire ce que les gens doivent manger », rappelle le maire. « Si on ne raisonne qu’avec une calculatrice, les riches rouleront bientôt en voiture électrique et les pauvres ne pourront plus manger… Alors, prudence. Sur de mauvaises terres, pourquoi pas, mais pas à n’importe quelle endroit ! »

marianne.net