Samedi 6 – Dimanche 7 Avril au cinéma l’Atalante de Gourdon – rencontre avec la réalisatrice et l’actrice du film « Jeanne fait des siennes »

Claire Angelini cinéaste et artiste plasticienne, s’intéresse aux histoires enfouies, aux traces, à notre mémoire individuelle et collective. Ses films et projets sont autant de rencontres humaines et singulières avec des régions, des lieux, des personnes d’ici et d’ailleurs, mais aussi avec des paysages souvent négligés par le cinéma courant.

Jeanne fait des siennes est son septième long métrage.

Le film évoque l’histoire d’une paysanne pauvre du 18ème siècle que sa liaison avec un botaniste réputé amène à faire le tour du monde, déguisée en homme, puis à vivre à l’Île Maurice, avant de revenir dans le Périgord où elle passera la majeure partie de sa vie.

Pourquoi s’intéresser à cette histoire ? Parce qu’elle condense tous les thèmes qui sont les nôtres aujourd’hui : la place de la femme dans le monde, jusque dans la question « transgenre », le rapport à la nature et aux ressources des pays dits du Sud.

Cette femme, Jeanne Barret, a été reconnue comme une « femme extraordinaire », mais son histoire demeure lacunaire. Plutôt que de proposer une reconstitution imaginaire de son parcours, le film déploie des hypothèses autour de son fabuleux voyage laissant au spectateur le soin de trancher !

Par ailleurs à travers le destin de ce personnage, le film explore celui de trois femmes, la Mexicaine Yadira, la Malgache Geneviève et la Mauricienne Marie-Ange qui vivent aujourd’hui dans la région d’où Jeanne était partie. A 150 ans de distance, leurs vies diffèrent et se superposent

Claire Angelini dit à propos de ce film qu’elle a écrit et réalisé :

Lorsque j’ai découvert l’histoire de Jeanne, paysanne pauvre du 18ème siècle que sa liaison avec un botaniste réputé avait conduit à embarquer sur un bateau de l’expédition royale de Bougainville et à voyager déguisée en homme, ce qui m’a touchée d’emblée est sa capacité à trouver sa liberté et à la défendre en usant du travestissement face aux rigueurs des lois, au partage étroit des sexes et des fonctions sociales outre sa personnalité de « femme extraordinaire ». Surtout, j’ai vu en elle le miroir possible de nos questionnements les plus contemporains, le genre, l’exil, la botanique et plus largement la place de la femme dans le monde.
Pourtant, l’histoire de Jeanne Barret est aussi lacunaire et incertaine que son personnage lui-même. Alors, plutôt que de remplir ce vide de l’archive par la reconstitution imaginaire, j’ai préféré déployer les possibles de la narration sous les espèces d’un jeu théâtral ouvert et forcément inépuisable. De même, je me suis
tournée vers le présent, découvrant dans des femmes émigrées d’aujourd’hui et en miroir inversé, de possibles sœurs lointaines de mon héroïne.
Jeanne fait des siennes résulte de cet entrelacement entre ces deux strates de récits ; celle d’un personnage qui se raconte sous la forme d’hypothèses, et celle de trois femmes, Yadira, une Mexicaine, Geneviève une Malgache et Marie-Ange une Mauricienne, qui à partir d’une vie d’exil se sont chacune inventé un destin dont elles nous dévoilent des fragments. Vies qui retrouvent, recoupent ou contredisent sur un mode à la fois concret et poétique, l’aventure lointaine et inconnaissable de Jeanne. Aux limites de la fiction et du documentaire, Jeanne fait des siennes est pour moi un essai filmique qui crée son espace propre pour dessiner le portrait de quatre femmes qui se donnent la main à deux siècles et demi de distance grâce au cinéma.

Claire Angelini

Patrick de Haas, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne ,

Avec Jeanne fait des siennes Claire Angelini a réalisé un tissage audacieux. Elle entremêle les fils narratifs de trajectoires de femmes qui, à deux siècles de distance, ont accompli un très long voyage qui a bouleversé leur vie. Le film provoque en effet la rencontre improbable de Jeanne Barret, paysanne du Morvan au 18ème siècle qui fut probablement la première femme à faire le tour du monde, avec trois femmes d’aujourd’hui, qualifiées ordinairement d’« immigrées » qui ont trouvé asile dans ce même Morvan. Leurs paroles recueillies nous font comprendre et sentir tout ce que dissimule l’anonymat de l’appellation « immigrée » : une immense richesse d’expérience liée au bouleversement perceptif induit par ces voyages.

L’histoire de Jeanne Barret, est jouée avec force et sobriété dans un décor minimal : la comédienne change seulement de vêtements suivant le récit et à l’occasion de l’énoncé des différentes hypothèses concernant son aventure : le naturaliste avec lequel elle a embarqué l’a-t-il vraiment aimée? Qu’a-t-elle retenu de son tour du monde? L’écran se fait écrin de précieuses histoires enfin reconnues.