Soirée Faune au Jardin Bourian avec Julie Delfour

L’Homme face au Sauvage : « Nous avons tendance à projeter nos peurs« 

Mercredi 9 avril, le Jardin Bourian organise une rencontre avec l’écrivaine et géographe Julie Delfour. C’est une personne étonnante par la diversité de ses recherches scientifiques et artistiques ; une trentaine de ses ouvrages sur la faune sauvage ont paru, souvent illustrés par ses dessins et photographies. Il s’agit de guides de vulgarisation scientifique sur l’animal en ville, les animaux de montagne ou encore les traces d’animaux, mais elle publie également sur les prédateurs, les espèces menacées, les loups, les ours, la famille des félins…

Entretien avec cette amoureuse des animaux qui s’intéresse à notre perception du Sauvage depuis son plus jeune âge. Récemment, elle a publié une série d’essais sur les rapports entre l’homme et les animaux sauvages dans la collection De Natura Rerum de Klinksieck. Son dernier livre chez cette maison d’éditions est paru en mars 2025 et s’intitule : « Le Rat, Frère des lisières ».


Vous avez une formation multidisciplinaire : un doctorat en géographie sur les animaux dits nuisibles, un D.E. à l’école vétérinaire et un doctorat en littérature sur le rat. Vous venez de faire une deuxième publication sur les rats, pourquoi vous intéressez-vous autant à cet animal ?
JD : Depuis ma jeunesse je suis fascinée par les animaux mal-aimés, j’ai toujours eu envie de les défendre. Je consacre ma carrière à essayer de comprendre pourquoi nous sommes si enclins à projeter nos fantasmes et nos peurs sur certains animaux comme les rats ou les loups. Il y a un décalage entre l’animal et l’image que l’on s’en fait, nous le transformons par nos perceptions.

L’homme a du mal à cohabiter avec la faune. Les animaux sauvages doivent toujours respecter les limites que nous leur imposons. Bien-sûr, cela ne peut pas fonctionner car nous vivons sur le même territoire et donc des tensions se créent. Nous tentons de chasser la bête noire des maisons ou des champs. À leur tour, les animaux sauvages comme les rats tentent de vivre le plus discrètement possible dans le sillage des humains et résistent aux éternelles tentatives de piégeage.

D’où vient cette peur et ce dégoût que nous avons pour les rats ? Nous ont-ils été transmis ?
JD : Cette peur est profondément ancrée dans nos esprits. Nous avons eu des épidémies comme la peste et cela a évidemment laissé des traces. Mais déjà dans les premières descriptions d’espèces sauvages dans les bestiaires antiques, la réalité est déformée par notre vision de l’animal. Nous associons le rat à la saleté, au grouillement. Nous inventons des histoires d’hommes dévorés par des hordes de rats… Passé au filtre de notre imaginaire, l’animal devient un monstre sanguinaire. Il devient une bête noire.
Mais ailleurs, l’animal peut avoir une image bien plus positive. En Inde, les gens sont habitués aux rats et n’ont pas peur. Dans les temples, ils sont sacrés et sont même nourris pour que les dieux soient bienveillants. Parfois, ils forment de véritables tapis vivants. Si vous en écrasez un, cela nécessite une offrande.
Le rat est un exemple d’animal qui provoque des réactions extrêmes chez l’homme. Soit nous le craignons et le détestons, soit nous l’adorons pour son intelligence. Certaines personnes ont un rat de compagnie, mais la négativité persiste ; par exemple, on dit que ce sont surtout les « punks » et les marginaux qui aiment les rats.


Ce sentiment de peur est-il encore rationnel à notre époque ?
JD : Bien sûr que non ! Les dangers du passé ne sont plus les dangers du présent. Nous ne sommes plus la proie des animaux sauvages ou des grands félins. Nous pouvons protéger notre alimentation et nous faire soigner en cas d’accident malheureux. Dans les grandes villes, on compte en moyenne un rat par habitant. Les gens ne réalisent même pas qu’il y a tant de rats dans les égouts et les souterrains, car ces animaux ont réussi à organiser leur vie à l’abri des regards. Ils ont une intelligence collective et émotionnelle remarquable. Ils construisent des cités, se répartissent les tâches, s’occupent des membres les plus faibles du groupe ou, pour les femelles, de la progéniture d’une congénère décédée. Ces animaux que nous détestons ont des émotions, connaissent la joie et savent même rire, comme nous… C’est peut-être parce qu’ils nous ressemblent que nous les détestons autant. Nous refusons de les admirer, parce que nous préférons ne pas connaître la bête noire qui habite notre inconscient.


Mercredi 9 avril à 18.00 h, Julie Delfour au Jardin Bourian à Dégagnac.
Cette Soirée Faune se clôturera par un pot convivial. Participation aux frais, minimum 3 euros.
Places limitées, réservation conseillée : Jardin Bourian : 0618349634 ou Tineke Aarts : 0640087628

Propos recueillis par Tineke Aarts