Terminé avec les véhicules thermiques en 2040?

Elle est pliable

Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques de l’assemblée nationale, et Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de la même assemblée, ont proposé que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) soit chargé d’une étude sur l’arrêt des ventes de véhicules thermiques à l’horizon 2040 et le développement de moyens de transport du futur. Huguette Tiegna, députée du Lot, membre de l’OPECST, a été désignée comme rapporteur de cette étude, cap 2040, aux côtés de Stéphane Piednoir, sénateur.

Créé par la loi, l’Office est un organe d’information commun à l’assemblée nationale et au sénat. Composé de 18 députés et 18 sénateurs, il a pour mission, aux termes de la loi, « d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractères scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions ». Il permet ainsi au parlement de disposer d’une expertise pour éclairer des choix politiques de long terme.

Medialot

Science fiction?

Libération Par Franck Bouaziz

En 2040, qu’aura-t-on sous le capot?

«Zéro moteur à combustion» en vente. L’objectif annoncé par Nicolas Hulot est-il réalisable ? Et si oui, comment l’atteindre ? En l’état, la transition vers un parc automobile entièrement renouvelé dans une vingtaine d’années semble compliquée.

Enthousiasme modéré et poli, sans plus. L’objectif «zéro moteur à combustion» d’ici à 2040 annoncé par Nicolas Hulot dans le cadre de son plan climat, suscite pas mal de questions chez les fabricants de voitures, mais aussi parmi les associations de défense de l’environnement.

La perspective de bannir complètement l’essence et le diesel laisse sur le bord de la route les véhicules hybrides, dont les ventes ont pourtant bien démarré. Et le modèle économique de cette révolution énergétique est en outre à préciser. Le financement des bornes de recharge et les incitations financières pour un retrait anticipé des «vieux» véhicules diesel et essence représentent plusieurs milliards d’euros de dépenses qu’il faudra bien financer. Mais aussi répartir entre l’Etat et les collectivités locales, ce qui ne se fera pas sans douleur.

Alors, possible ou impossible de se passer du moteur thermique en 2040 ? Interrogés, les constructeurs automobiles et les experts veulent bien faire l’effort de se projeter jusqu’en 2030, mais au-delà… Ils convergent en tout cas sur un point. Le 100 % électrique leur paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible, à atteindre.

Face au pragmatisme des industriels qui ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le seul panier de l’électrique, le ministre Hulot va devoir faire preuve de créativité politique. Et gagner tout autant des arbitrages budgétaires que la conviction des consommateurs, encore dubitatifs devant ces véhicules non conventionnels.

A quoi ressemble le parc automobile actuel ?

Les ventes de véhicules électriques ont encore du retard à l’allumage. Pas de quoi être foudroyé pour le moment par les performances commerciales de la Zoé en France. Le véhicule 100 % électrique vendu par Renault totalise 70 % de parts de marché. Il ne s’en est vendu que 9 200 au cours du premier semestre 2017, sur un total de 13 553 voitures du même type.

Durant la même période, les voitures à moteur diesel ou essence se sont écoulées à plus d’un million d’exemplaires. La bagnole zéro émission de CO2représente aujourd’hui seulement 1 % du marché. Cela donne un aperçu de la marge de progression à accomplir d’ici à 2040, date à laquelle le ministre demande que les moteurs à combustion ne soient plus commercialisés. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils auront disparu. Le parc de voitures de l’Hexagone est estimé à 35 millions d’unités. Sachant qu’il faut dix-huit ans en moyenne avant qu’une voiture ne soit retirée de la circulation, il faudra attendre 2057 pour ne plus croiser un seul pot d’échappement. Volvo, pourtant très présent dans le haut de gamme, imagine une montée en puissance très mesurée de ses ventes de voitures électriques. «Nous prévoyons de commercialiser un million de ce type de véhicules d’ici à 2025», indique Yves Pasquier-Desvignes, le PDG de la filiale française. Soit, dans le meilleur des cas, 25 % des ventes totales de ce constructeur suédois désormais détenu par un actionnaire chinois. Pour les autres modèles, il faudra continuer à passer à la pompe.

Quels remplaçants pour les voitures d’aujourd’hui ?

Respecter de manière orthodoxe l’objectif de zéro émission de CO2 ne laisse de la place qu’à deux technologies : les batteries électriques rechargeables et l’hydrogène liquide. La première est aujourd’hui la plus couramment envisagée pour les voitures particulières, avec deux modes de recharge. Il y a le système long, de six à huit heures, à installer dans les maisons individuelles. Pour les immeubles dépourvus de parkings en sous-sol, la tâche s’avère plus complexe et plus coûteuse. En ville et sur les aires d’autoroute, des bornes de recharge rapide permettront de faire un plein d’électricité en trente minutes. Mais long ou rapide, le système d’approvisionnement ne sera pas gratuit : «Environ deux euros pour une recharge lente et cinq pour une recharge rapide», indique Marie Castelli, secrétaire générale d’Avere-France, une association qui promeut la mobilité électrique et regroupe aussi bien les fabricants de voiture que les installateurs de bornes de recharge.

Les camions et les bus, gros consommateurs de kilomètres, vont probablement recourir à un autre carburant : l’hydrogène liquide. Dans ce cas, le moteur fonctionne grâce à une pile à combustible qui se recharge dans une station spécialisée, pas très différente de celles qui vendent de l’essence.

Seul hic, cette technologie est encore embryonnaire. A Paris, une société de taxis, Hype, a sauté le pas en achetant six véhicules à hydrogène. Il n’existe cependant, pour les recharger, qu’une seule et unique station dans la capitale et une quinzaine dans l’ensemble de l’Hexagone.

Que proposent les constructeurs ?

Le ministre de la Transition écologique va visiblement trop vite en besogne pour les constructeurs automobiles, même s’ils n’évoquent que mezza voce leurs divergences. La plupart ont fortement misé sur la technologie hybride, qui associe un moteur classique à un générateur électrique. Les deux travaillent conjointement, ce qui permet de réduire la consommation d’essence, sans la supprimer totalement.

Toyota, pionnier de la technologie, vient de franchir le cap des dix millions de voitures hybrides vendues dans le monde. Didier Gambart, le président de la filiale française, ne compte pas s’arrêter là : «D’ici à 2030, les véhicules hybrides rechargeables de deuxième génération représenteront 40 à 50 % de nos ventes et ceux à énergie uniquement électrique 5 à 10 %. La fin des moteurs à combustion à l’horizon 2040 ne me semble pas un objectif réaliste.» Même son de cloche chez Volvo : «Nous ne sommes pas capables en nous engager sur un tel objectif», indique son patron pour la France, Yves Pasquier-Desvignes, alors que d’ici deux ans, l’ensemble des moteurs commercialisés par la marque intégreront une part d’énergie électrique avec la technologie hybride.

Les constructeurs sont d’autant moins enclins à adhérer au tout électrique que pour la plupart, le marché est mondial. «Sur certaines zones de la planète, le pouvoir d’achat ne permettra pas d’accéder au véhicule électrique», indique Christian Chapelle, directeur des chaînes de tractions et châssis chez PSA.

Quels sont les principaux obstacles ?

Séduisante sur le plan environnemental, la voiture électrique ne propose pas encore la même souplesse d’utilisation qu’un véhicule à essence. «L’automobile est un vecteur de liberté et l’électricité est une contrainte», résume Eric Champarnaud, qui a longtemps œuvré sur la stratégie de Peugeot et Citroën avant de conseiller l’ensemble de l’industrie automobile.

Au-delà de la question de l’autonomie, aujourd’hui de 300 kilomètres, mais appelée à croître, la voiture zéro émission bute sur des obstacles de taille. «Nous sommes dans une course permanente entre le volume de la batterie et l’habitabilité», précise Christian Chapelle de PSA. En clair, le gain de kilomètres risque de se faire au détriment du confort de la voiture.

Le tout électrique ne rencontre pas non plus l’adhésion de France nature environnement (FNE), l’une des principales associations actives sur ces questions. Jean-Baptiste Poncelet, chargé des questions de transport, met en garde contre les effets pervers des systèmes de recharge rapide : «Ils sollicitent beaucoup le réseau électrique et en période d’hiver, qui correspond à un pic de consommation, il faudra peut-être faire appel à des centrales d’appoint qui fonctionnent au fioul et au charbon.»

Enfin, le lithium, matière première indispensable à la production de batteries, ne se trouve pas partout. Les plus importants gisements sont situés dans le désert d’Atacama, en Bolivie, et son extraction nécessite de grandes quantités d’eau, au détriment des populations locales.

Les réfractaires se retrouvent finalement tous sur une même ligne. Aussi vertueuse soit-elle, la suppression pure et simple du moteur à combustion aura en amont un coût environnemental.

Combien coûterait cette révolution ?

Libération a demandé à plusieurs reprises au ministère de la Transition écologique si l’objectif «zéro émission des moteurs» pouvait être chiffré. Le bonus accordé pour l’achat d’un véhicule électrique et l’installation de milliers de bornes de recharge devraient peser sur les finances publiques. «Aucune estimation n’est pour le moment disponible», répondent en substance les services de Nicolas Hulot.

Pourtant, la loi de transition énergétique a prévu l’installation de 7 millions de points de charge d’ici à 2030, dont 700 000 financés par les pouvoirs publics. Selon l’Association nationale pour la mobilité électrique, chaque unité coûte 30 000 euros, installation comprise, soit un coût total de 2,1 milliards. La répartition de cette addition entre l’Etat et les collectivités locales risque de générer des discussions plus aigres que douces.

De son côté, le Conseil général pour l’environnement et le développement durable (CGEDD), un organisme d’études placé sous l’égide du ministère de la Transition écologique, estime à 2,8 milliards l’installation d’une infrastructure de raccordement et sa maintenance pour 2 millions de véhicules électriques. Il précise, en outre, que l’exploitation de ces bornes est structurellement déficitaire. Si une recharge est facturée 2 euros au propriétaire d’une voiture, son coût véritable, avec l’amortissement de l’investissement et l’installation, est de 13 euros. L’Etat va en outre devoir financer un bonus écologique sur un nombre forcément à la hausse de voitures électriques et une «prime à la casse» afin d’encourager le retrait des véhicules diesels d’avant 1997 et de ceux à essence antérieurs à 2001.

Franck Bouaziz Libération