Un gardien
J’appartiens à une nouvelle génération d’épouvantail. Il ne s’agit plus d’effrayer les malheureux oiseaux confrontés aux panneaux vitrés, aux pales des éoliennes, aux lignes à haute tension, aux pesticides et aux raminagrobis, leurs ennemis de toujours.
Moi, je soutiens le mur, comme les jeunes des cités, mais un mur dans un village, la façade d’une maison de 1720 (la Régence), face à une maison moyenâgeuse. C’est l’endroit le plus ancien, le plus étroit, le plus beau du village peint du reste par Katia Weyher (tableau accroché à la mairie).
Mon rôle consiste à écarter les véhicules gigantesques qui passent sans respecter les limitations de vitesse, ni les habitants, ni les animaux, ni les maisons. Voilà six fois que celle de mon auteur préféré est détériorée, d’abord la descente de gouttière, puis la gouttière, puis le toit. C’est ainsi, il faut bien que passent ces nouveaux conquérants : ça passe ou ça casse. Ça casse !
Que peut-on faire ? Mais raser les maisons pardi ! Et viendront des engins encore plus grands, plus dangereux, plus nocifs, plus puants : le progrès. Récemment, un camion transportant un liquide inflammable était en mauvaise posture ; un jour, peut-être, tout le village sautera : un fait divers pour le journal régional.
Avant moi, une jardinière de fleurs en ciment fut pulvérisée, puis une bûche représentant une Colombine, cette fois c’est mon tour. Je sais que j’y perdrai la vie : en huit jours un camion m’a retourné à demi, a soulevé une plaque en béton. Sans compter ceux qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes et ne se soucient en rien des autres, voire même prennent un malin plaisir à détruire et à nuire : des néo-barbares qui dressent le doigt en guise de bonjour.
Je me vois déjà éventré, en morceaux sur la chaussée, la paille à l’air, rejoignant les trois chiens morts sous leurs roues.
Gustave, l’épouvantail.
Voici quelques commentaires reçus pour « le gardien » sur Facebook
« Très beau texte et tellement véridique, malheureusement ! » Régine
« Excellent ! Les chats et les oiseaux vont lui apporter leur soutien. » Corinne
« La pire espèce de prédateurs : l’homme et sa cupidité sans limite…./… le monde va droit dans l’horreur. »
Gustave, mon épouvantail, résiste courageusement, mais son moral est en berne. Il vient d’apprendre que les lois qui protègent les biens et les personnes connaissent des dérogations. Ainsi, l’ interdiction de véhicules hors gabarit de passer dans un endroit trop étroit ne vaut pas pour les agriculteurs ni les transporteurs de bétail. Donc, ses jours et ceux de mon toit sont comptés…
Mais rassure moi Colette. S’ils bénéficient de dérogation ils sont quand même bien dans l’obligation de réduire leur vitesse pour passer « en douceur » ?
En tout cas c’est une superbe idée d’avoir mis un épouvantail. Je crois que j’en mettrais plusieurs. Gustave doit quand même les « gêner » un peu et les obliger à ralentir et faire attention. Non ?
Je trouve ça magnifique que Gustave (et consorts si tu en mets d’autres) soient prêts à mourir pour ton toit.
Quand la poésie s’engage….
J’ignore s’ils doivent respecter les limitations de vitesse, ils considèrent sans doute qu’en absolu ils sont lents… Certains ralentissent, une épandeuse est passé lentement avec cinq millimètres de marge de chaque côté.
C’est une excellente idée de rallier tous les épouvantails, j’ajouterai les nains de jardin pour faire bonne mesure…
Bonjour, Des tracteurs toujours plus gros mais qui sont conduis par des personnes qui nous nourrissent et qui n’ont peut être pas la possibilité de passer ailleurs, comme sur ma petite route ou ils frôlent mon grillage régulièrement. Dans votre village comme dans d’autres les routes sont souvent très anciennes et ne peuvent plus supporter les gros engins mais que faire? Bonne journée
D’abord revenons à une agriculture à taille humaine et non polluante. Ensuite, ces maisons furent habitées pendant des siècles, elles ont une âme. Que serait le Lot sans cette grande variété architecturale ?
Lorsque des travaux eurent lieu dans le village, une déviation a été trouvée, c’est donc possible. Si au lieu d’être écrivain, j’étais… (à chacun de compléter) une solution serait trouvée.
Bonjour, votre réponse va dans le sens de ma réponse mais avec une conclusion qui ne peut se résumer à: Si au lieu d’être écrivain, j’étais… (à chacun de compléter) une solution serait trouvée. car les élus.es, j’ai bien compris que se sont eux qui sont visés, sont dans toutes les communes confrontés a de nombreux problèmes de circulation et que oui pour des travaux ils trouvent des solutions mais qui souvent ne peuvent pas être définitives et surtout qui entrainent souvent une très forte dégradation des routes qui ne sont pas faites pour cela. La solution n’est pas toujours entre les mains des élus.es mais de chacun. Dans notre commune « grâce » au GPS des camions passent par des routes qui ne sont pas en mesure de les accueillir! Que faire? tout interdire ou compter sur le bon sens de chaque utilisateur. Perso j’ai pas la solution miracle. Bonne journée
Ma conclusion était un peu une boutade. Je sais le problème complexe, mais depuis des années je dois me débrouiller seule pour trouver à chaque fois un devis, un artisan (les délais sont de 1 an). « Heureusement » que cette fois mon toit fut arraché : une entreprise est venu bâcher. Le camion de paille responsable ne s’est pas arrêté. (La maison voisine a été aussi détériorée et un lampadaire du village détruit.) Une seule fois, un agriculteur s’est signalé, toutes les autres fois j’ai dû payer la franchise et mon assurance n’est plus trop d’accord pour s’occuper des dégâts.
à propos des GPS, j’ai appris qu’il en existait de deux sortes : un pour les voitures, un pour les poids lourds, celui-ci étant beaucoup plus cher, beaucoup de transporteurs utilisent un GPS qui ne correspond pas à leur encombrement…
A lire ces échanges très intéressants le problème est effectivement complexe.
Jouons le « moderne ». Une caméra de surveillance qui filmerait le passage des engins. Bien placée (et à l’abri! ) pour récupérer l’immatriculation. L’assurance pourrait peut-être s’en servir pour se retourner contre les responsables des dégradations ?
Je comprends les problèmes des élus à qui on demande de trouver des solutions à des demandes qui sont contradictoires. Mais peut-être une concertation… ? Non concertation n’est pas un gros mot je vous assure ! 🙂
Je crains que la caméra soit mal acceptée : un simple miroir destiné à faciliter les croisements sur la placette a été abîmé volontairement ou non… Plusieurs concertations ont eu lieu et cette partie du village doit être aménagée cet été, mais les « experts » ont des avis divergents et aucun ne croit à l’efficacité des dits aménagements. Personnellement, je pense qu’il faut essayer vaillamment comme le fait mon épouvantail.