Un Lotois lutte contre les géants

Au fin fond du Lot, à Saint-Jean-Lespinasse, André Bouny poursuit un long combat pour qu’éclate la vérité sur l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam et ses conséquences aujourd’hui.

Il n’est pas très grand André Bouny, il paraît même fragile. Pourtant, c’est bien lui qui en mars 2007 se retrouve devant le Conseil des droits de l’homme à l’ONU pour dévoiler, au monde entier, les conséquences environnementales et sanitaires de l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam. «J’ai eu un peu le trac, concède-t-il. Je me retrouve devant des personnes venues du monde entier, entourées de traducteurs et qui ne connaissent pas du tout le sujet. Ils vous regardent et se demandent de quoi vous parlez. Il y a un étonnement général qui s’installe.»

Face à ce qu’il qualifie «d’amnésie historique», André Bouny ne cesse depuis de nombreuses années de combattre. Au début des années 70, ce fils d’agriculteur de Tauriac, étudiant à Paris, milite contre la guerre au Vietnam. Quelques années plus tard, il adopte avec son épouse un enfant vietnamien. Plusieurs voyages suivront. «Le pays, sous régime communiste, s’entrouvre au milieu des années 90 et c’est là qu’on découvre vraiment ce qu’a été cette guerre chimique.» Dès 1994, jusqu’en 2004 (date de la fin de l’embargo américain), André Bouny œuvre avec l’association Défi Vietnam pour améliorer les conditions de vie dans ce pays. De nombreux Lotois y participent. Le lycée Gaston-Monnerville de Cahors réalise des remises à niveau de matériel médical avant leur envoi ; l’hôpital de Saint-Céré qui forme un médecin et même Emmaüs Cahors font partie de l’aventure.

En 2004, André Bouny envoie une lettre ouverte à John Kerry, candidat démocrate à la présidentielle américaine, où il dénonce «le crime hideux de l’agent orange. Voir des gosses sans yeux, c’est vraiment perturbant au niveau de l’émotion. Psychologiquement, ça ne vous lâche pas… Ce n’est plus possible alors de rester bras ballants», explique-t-il.

Cette même année, une procédure est lancée aux États-Unis par des victimes vietnamiennes contre 37 compagnies ayant produit l’agent orange, dont Monsanto et Dow Chemical. Le Lotois décide alors de créer le Comité international de soutien à ces victimes. Alors qu’en 1984 une association des vétérans américains obtient 180 millions de dollars des compagnies ayant produit l’agent orange, cette procédure-là ne donnera rien. «Les États-Unis, le monde est à eux», indique André Bouny pour conclure ce chapitre-là.

C’est donc vers le vieux continent qu’il va continuer son combat en plaidant sa cause dans les médias et en écrivant un livre «Agent orange, apocalypse Vietnam». «Ce n’est pas facile d’en parler car l’histoire officielle est écrite par les vainqueurs, les plus puissants ou les plus riches. Et cette guerre chimique n’est pas mentionnée dans l’histoire, car elle est honteuse et complètement illégale par rapport aux traités de La Haye et de Genève», fait-il remarquer. Le Tribunal international d’opinion de Paris en 2009, qui l’entendra en tant que témoin, condamnera le gouvernement des États-Unis ainsi que les fabricants, reconnaissant le crime d’écocide.

Aujourd’hui, le Lotois soutient Tran To Nga, une Française d’origine vietnamienne, en procès en France contre les fabricants de l’agent orange.


«Le glyphosate tue les sols»

Avec son combat sur l’agent orange, André Bouny connaît bien la firme Mosanto mais aussi les herbicides. À l’heure où l’Union européenne doit se prononcer sur la prolongation d’utilisation du glyphosate, il a bien voulu répondre à nos questions.

Que pensez-vous de l’utilisation du glyphosate ?

Je suis fils d’agriculteur et j’ai vu la modification de l’agriculture d’après-guerre. Je voyais arriver à la ferme ses représentants avec ses engrais et ses pesticides. D’ailleurs, on disait des produits «phytosanitaires». C’est quand même un super mensonge, «phytosanitaire». C’est une prestidigitation sémantique qui laisse entendre que c’est un produit positif et que l’on pourrait le boire alors que c’est un pesticide et un biocide qui signifie «tuer la vie». C’est toujours présenté comme un produit qui fait du bien, en tuant la vie, on fait du bien, on est propre.

On ne peut pas demander de tout arrêter et de ruiner les agriculteurs aujourd’hui. Il ne faut pas voir ce que l’on peut avoir en substitution, cela peut être pire que le mal. Il faut amener doucement les agriculteurs à sortir de ce principe de l’agriculture industrielle qui, avec le glyphosate, tue les sols. En faisant ça, on a vidé les produits alimentaires de leurs nutriments dont nous avons tous besoin, les hommes comme les bêtes. Je souhaite que le glyphosate soit interdit. Ensuite, est-ce que ça le sera ? Par rapport aux réalités économiques du monde agricole, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Que pensez-vous du rapport de l’Union européenne qui est un copié-collé de celui de Monsanto ?

Je pense que l’Union européenne ne fait pas son travail car elle se laisse pénétrer par les lobbyistes. Les lobbyistes à Bruxelles, ce sont eux qui font la loi.

Pour Monsanto, il faut se souvenir de l’affaire Richard Doll. C’est lui qui a démontré le rapport entre le cancer du poumon et la cigarette et était une référence scientifique. Le Guardian a révélé que Monsanto et toute la communauté internationale des chimistes avaient versé à Richard Doll 1 500 $ par jour pendant 20 ans afin qu’il dise qu’il n’y avait pas de lien entre le cancer et la dioxine.

Que pensez-vous du projet de rachat de Monsanto par Bayer ?

Monsanto s’achète peut-être une virginité. En devenant Bayer, il change de dénomination.


Des soutiens de poids

Avec le Comité international de soutien aux victimes de l’agent orange, André Bouny a pu compter sur le soutien d’Angela Davis, Noam Chomsky ou Joan Baez. «C’est un plus pour nous, car ce sont des soutiens, des icônes états-uniennes qui appartiennent à la nation criminelle. Ça donne plus de poids au niveau international. Les avoir à côté, non seulement ça m’encourage, mais ça me protège aussi.»


Agent orange et dioxine

Interrogé sur l’agent orange, André Bouny indique : «C’est un produit liquide constitué de deux acides dont le 245-T qui, en présence de chlore, lorsque la température est portée aux environs 300°, génère la dioxine TCDD. Cette dioxine-là, c’est le poison le plus puissant sur terre qui peut provoquer n’importe quelle maladie systémique. La Croix rouge vietnamienne estime entre 3 et 4 millions le nombre de personnes victimes de cette guerre chimique.

La dioxine est liposoluble donc elle se met dans les graisses, dans les œufs, dans le lait. Une mère, atteinte par la dioxine qui allaite son enfant, l’empoisonne. Au Vietnam, la dioxine est toujours là, dans 100 ans elle y sera encore. Sur certains points chauds, elle est passée dans la chaîne alimentaire, dans les nappes phréatiques. On sait que 80 grammes de dioxine peuvent tuer 8 millions d’habitants dans un système de distribution d’eau.»