Une histoire lotoise « Sarcler, semer, on travaillait dur »

Née le 15 octobre 1921 à Gindou, Hortense Cantagrel, de son nom de jeune fille Bergon, fut toute sa vie agricultrice. Elle habite aujourd’hui en famille avec sa petite fille Marie-Pierre et ses arrière-petits-enfants. Ainsi ce sont trois générations qui se retrouvent réunies sous le même toit. Une belle histoire de transmission.

Hortense a accepté de nous faire partager à ActuLot quelques-uns de ses souvenirs.

Hortense revient sur les souvenirs marquants de sa vie :

– « Je suis allé à l’école des filles à Gindou jusqu’au Certificat d’Études et nous étions cette année-là cinq filles à le passer et à avoir été reçues. Mme Pélissier, de Cazals, était notre institutrice. J’allais aussi au catéchisme avec l’abbé Bonnet qui sortait de Labastide-Murat et qui était curé à Gindou et à Maussac. Son catéchisme, il fallait l’apprendre par cœur et après le lui réciter. J’aimais bien l’école. J’aurais bien voulu continuer mais les études pour les filles demandaient des moyens financiers que mes parents n’avaient pas. Pour les jouets, on se les fabriquait nous-même avec ce qu’on trouvait dans la nature. Après le Certificat d’Études, j’ai appris le métier d’agricultrice avec mes parents qui étaient tous les deux agriculteurs. On ne gagnait pas lourd mais on était heureux et on vivait tous ensemble dans la même maison, les parents, les grands-parents et les enfants. Le Lot rural avant la seconde guerre mondiale n’était pas riche. On se nourrissait surtout avec ce qu’on produisait sur la ferme, on faisait notre fromage avec le lait de nos chèvres, on mangeait les carottes et les patates du jardin, on élevait nos lapins, nos poulets. L’électricité est arrivée en 1932. Jusque-là on s’éclairait avec un petit candelou mais on n’y voyait pas très clair. Et soudain le soir j’ai pu faire mes devoirs sur la table, une vraie révolution. Mais le plus grand changement c’est lorsque nous avons pu acheter un tracteur en 1950. Nous avions quatre vaches, on les trayait matin et soir. Et chaque matin il fallait porter les bidons en fer au bord de la route avec un carretou, pour que le collecteur de lait les prenne au passage avec son camion, et le soir il nous fallait ramener les bidons à la maison en sortant de l’école, et ce n’était pas fini, il fallait les nettoyer. J’ai aussi gardé les brebis, même les jours où je n’en avais pas envie. Sarcler, semer, on travaillait dur. Je conduisais le tracteur. Il a bien fallu s’y mettre. Je n’ai pas rencontré mon mari au bal, vu qu’il ne dansait pas ! Je l’ai rencontré sur la route, car souvent le dimanche on se promenait en bandes de filles et bandes de garçons et on se croisait, on causait.

« Ce n’est pas l’argent ni le confort qui doivent être nos priorités dans l’existence mais le partage et le souci des autres. »Hortense Cantagrel

Pendant la guerre il a fallu faire maigre, on ne trouvait plus autant de denrées. Nous avons accueilli trois réfugiés arrivés du Nord de la France. Les Allemands, on en avait peur. D’autant plus que mon mari était parti au maquis. On s’est marié en 1944, le 5 février et mon fils est né le 11 décembre suivant. Et puis le 29 avril 45, je me souviens que j’ai voté aux élections municipales pour la première fois car les femmes avaient enfin le droit de vote.

Ce qui nous a le plus changé la vie après la guerre c’est le machinisme agricole. Jusque-là, faire le foin à la fourche et au râteau, c’était dur. Puis j’ai passé le permis de conduire à Gourdon. Au début on n’est pas fière au volant ! Mon mari m’a trouvé une 4L blanche d’occasion. On n’avait pas la télévision et même la radio, on l’a eu bien tard…

J’ai aussi été correspondante locale pour La Vie Quercynoise à partir de 1967 pendant plus de trente-cinq ans. J’aimais bien ce petit travail qui me mettait en contact avec un tas de gens. À l’époque on remplissait des fiches et je les envoyais par la poste. Moi je n’avais pas d’ordinateur, ça n’existait pas ! Et comme le village était très calme, c’était parfois tout un travail de trouver des événements locaux qui puissent devenir des sujets d’articles et parfois il fallait broder un peu. Autrefois il y avait plus de solidarité. On s’entraidait à la campagne. On avait le souci du voisin. Aujourd’hui, la vie est bien plus facile et confortable, c’est sûr. Mais je ne suis pas certaine que tous ces progrès techniques aient rendu les êtres humains meilleurs, ils rendent les gens trop individualistes. Ce n’est pas l’argent ni le confort qui doivent être nos priorités dans l’existence mais le partage et le souci des autres.Vidéos : en ce moment sur Actu

Echanges entre Hortense et sa petite-fille

Hortense vit aujourd’hui chez sa petite-fille, toutes les deux nous racontent comment cela se passe :

Qu’auriez-vous envie de transmettre aux nouvelles générations ?

Mes arrière-petits-enfants m’aiment bien. Et je leur explique que l’important dans la vie s’est de s’aimer et de s’entraider. Et puis vu mon âge je n’ai plus de rêves, ce n’est plus la peine, je souhaite juste conserver autant que possible la santé et ne pas être une charge pour mes proches, je ne veux pas coûter aux autres.

Marie-Pierre Cantagrel :

– « J’ai vécu avec Hortense mon arrière-grand-mère depuis ma plus tendre enfance. C’est elle qui venait me conduire et me chercher avec sa R6 à l’école. Maman travaillait six jours sur sept au lycée à Belvès, elle rentrait tard, alors mamie faisait le taxi. On prenait aussi les copains, copines au bord de la route en passant. »

Hortense : « Dès que Marie-Pierre arrivait chez moi, elle décrochait une sarclette. Elle arrachait des fleurs et elle les replantait ».

Marie-Pierre Cantagrel : « Avec mon mari Benoît, on a décidé de faire construire juste à côté de chez elle, et pour nous ça coulait de source de la prendre chez nous. Nous n’avons pas envie qu’elle se retrouve toute seule dans sa maison et qu’elle fasse des chutes. Hortense est facile à vivre, elle est énergique. Aujourd’hui ses yeux sont bien fatigués, mais tant que sa vue était bonne, je la suivais partout pour sarcler. Avec elle j’ai appris à être débrouillarde, à faire un jardin, à tirer parti de la moindre ressource, et si je peux faire un travail seule sans demander de l’aide, c’est grâce à elle. Hortense faisait le jardinage, la couture, les réparations en tous genres. Je l’ai toujours vu active. Emma ma fille, son arrière-petite-fille, a quinze ans et elle veut aussi faire sa part. D’avoir Hortense à la maison m’a obligée à avoir une vie saine, d’avoir des repas à heures régulières, de faire des pauses et de ne pas être tout le temps à courir ou dans le travail. Quand nous partons en vacances on l’emmène, elle est venue en Espagne avec nous et ce n’était que du bonheur. D’ailleurs nous repartirons ensemble en septembre ! »

Et Hortense de conclure en riant : « Les voyages forment la jeunesse mais déforment les valises ! »

LUC GÉTREAU ActuLot