Violences conjugales: la proposition de loi d’Aurélien Pradié
Prenez un député de droite turbulent, ajoutez un drame de société dont le gouvernement veut s’emparer et faire une priorité nationale. Mettez le tout dans la Cocotte-Minute qu’est l’Assemblée nationale. Tous les ingrédients étaient réunis pour que l’examen de la proposition de projet de loi (PPL) du député Les Républicains (LR) Aurélien Pradié sur la lutte contre les violences faites aux femmes vire au pataquès. Les responsables politiques semblent avoir décidé de se retrousser les manches pour éviter la cacophonie.
Les députés débuteront l’examen du texte le 2 octobre en commission des lois et les élus de La République en marche (LRM) se disent prêts à le voter, moyennant quelques amendements. Un signe d’assouplissement à l’égard des propositions de loi déposées par l’opposition à l’Assemblée nationale. Chacun des groupes dispose en effet, une fois par an, d’une journée pour faire adopter ses projets de réforme. Ces « niches parlementaires » sont toutefois rarement le lieu d’une concorde mais plutôt une fenêtre d’exposition médiatique et d’aporie politique. Les idées défendues contredisent en général la politique de l’exécutif ou prennent à rebours le calendrier gouvernemental. Et la plupart du temps, la majorité les rejette sans autre forme de procès.
« Un des plus réacs »
Le destin de la « PPL Pradié » devrait échapper à cette mécanique. Le gouvernement a même déclenché la procédure accélérée sur ce texte, fait rarissime pour une proposition de loi d’opposition. « On rend service à la démocratie quand on parle avec les oppositions », se félicitait, vendredi 20 septembre, Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, face aux élus du MoDem, au sujet du dialogue noué à cette occasion entre la majorité et le député LR.
« On rend service à la démocratie quand on parle avec les oppositions »
C’est peu de dire pourtant que l’irruption de cette proposition de loi a gêné les « marcheurs » aux entournures. Son auteur en est la première cause. Elu à l’Assemblée nationale en 2017, Aurélien Pradié, député du Lot, n’est pas l’un de ces élus de la droite « constructive » avec lesquels l’exécutif a l’habitude d’échanger. Il fait plutôt partie des jeunes députés tapageurs qui sont venus rajeunir les rangs de LR tout en adoptant les codes de leurs aînés : effets de manche et bruyantes indignations dans l’Hémicycle. « Ça m’embêtait de faire un cadeau à l’un des plus réacs et des plus cyniques, confie ainsi un cadre de la majorité. Mais beaucoup de collègues estimaient qu’on ne pouvait pas refuser, pour des raisons politiciennes, une PPL d’un député LR, aussi insupportable soit-il. »
Deuxième point de blocage : M. Pradié a doublé le gouvernement sur son propre calendrier. Un Grenelle des violences conjugales est en cours depuis le 3 septembre et doit s’achever le 25 novembre. Aucune annonce ne devait intervenir avant cette échéance. Mais la proposition de loi reprend un certain nombre de sujets qui ont été mis sur la table par le gouvernement, à commencer par la généralisation du bracelet électronique pour les auteurs de violences conjugales. Faute de parvenir à voter un dispositif similaire avant la « niche » LR, les « marcheurs » se sont ralliés, malgré les réserves de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, au texte du député du Lot.
Grands principes conservés
Cette décision n’est pas sans arrière-pensée politique. En 2018, une autre proposition de loi du même Aurélien Pradié avait laissé un goût amer aux élus LRM. Face au refus des députés de la majorité d’examiner ce texte sur le handicap, le non moins tapageur François Ruffin (La France insoumise) avait fait une longue intervention dans l’Hémicycle pour dénoncer leur attitude. « N’avez-vous pas honte ? Honte de votre paresse ? Honte de votre sectarisme ? », avait-il lancé, lors d’un discours relayé sur les réseaux sociaux avec la liste des députés qui avaient voté le rejet. L’initiative avait valu aux députés LRM d’être assaillis de courriers indignés. « Un petit traumatisme », s’amuse M. Pradié.
Reste un piège à éviter pour la majorité si celle-ci ne veut pas se faire taxer d’hypocrisie. « Il n’est pas question que le texte soit désossé », prévient M. Pradié. « On va proposer des modifications substantielles mais l’idée n’est pas de le dénaturer », insiste Guillaume Vuilletet, député LRM du Val-d’Oise, responsable de texte pour la majorité et auteur d’une autre proposition de loi sur le sujet. Les grands principes devraient être conservés :la généralisation du bracelet électronique, le renforcement des ordonnances de protection et l’élargissement du recours au Téléphone Grave Danger, appareil permettant aux victimes de contacter d’un geste les secours en cas de péril.
Les députés de la majorité et le gouvernement vont reformuler le texte sur le bracelet électronique afin de limiter le risque d’inconstitutionnalité. Il sera proposé en cas d’infraction passible de trois ans de prison et ne pourra être posé à une personne sans son consentement. Un refus pourrait toutefois conduire un suspect en détention provisoire et remettrait en cause tout sursis ou peine probatoire lorsque la personne a été condamnée. Les députés doivent encore trouver une solution lorsque le bracelet est posé dans le cadre d’une ordonnance de protection.
Aurélien Pradié espère en outre convaincre l’exécutif d’accélérer les délais de réponse à une demande d’ordonnance de protection. Ils sont aujourd’hui de plus d’un mois. M. Pradié veut le porter à six jours maximum. La chancellerie et la majorité estiment qu’imposer ce délai sera contre-productif. Les discussions se poursuivent à ce sujet. Le vote en première lecture est prévu le 10 octobre en séance.
Le député Aurélien Pradié s’est quelque peu échauffé ce mardi après-midi face à Nicole Belloubet, ministre de la justice. En cause : un décret paru le 27 mai et passé dans un premier temps inaperçu en plein contexte du déconfinement. Ce texte prévoit un délai dans le dispositif de lutte contre les violences conjugales. La victime devrait désormais informer à ses frais, par un huissier, son conjoint ou ex-conjoint de la procédure ouverture à son encontre et ce dans un délai de vingt-quatre heures » à peine de caducité de la requête ».
Aurélien Pradié: « Madame la Ministre, j’ai honte. Votre Décret détruit une avancée majeure de notre Loi #ViolencesConjugales. Vous imposez aux femmes victimes de payer la procédure et de convoquer elles-mêmes leurs bourreaux en 24h ! Vous rendez impossible les ordonnances de protection. Une folie ».
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Depuis quelques jours, de nombreuses associations de défense des droits des femmes, avocats spécialisés et personnalités politiques s’élèvent contre un décret du ministère de la Justice, paru dans la plus grande discrétion au Journal officiel le 27 mai dernier, et relatif à la délivrance des ordonnances de protection, procédure civile destinée à protéger les victimes de violences conjugales.
La règle instaurée par le décret vient placer les femmes victimes de violences dans une situation d’incertitude et d’exposition au danger», ont pour leur part estimé dans un communiqué la Fondation des femmes, la Maison des femmes de Saint-Denis, le Planning familial, la Fédération nationale solidarité femmes, et l’association Une femme, un toit.
Face à la bronca suscitée par ce texte, Nicole Belloubet s’est toutefois dite prête à des aménagements, annonçant une réunion au sein de son ministère mercredi avec les acteurs concernés. A l’issue de cette rencontre, le ministère a fait savoir dans un communiqué, mercredi soir, que ses services travaillaient à un nouveau projet de décret, qui doit être soumis le 23 juin à un comité de pilotage sur le sujet. Selon cette nouvelle mouture, le délai pour notifier la procédure par voie d’huissier pourrait être porté à quarante-huit heures, et les victimes pourraient bénéficier pour ce faire de l’aide juridictionnelle.
L’an dernier en France, environ 4 000 demandes d’ordonnances de protection ont été formulées.